Présenté comme le maître italien de la bande dessinée érotique, Milo Manara est aussi un passionné d’Histoire. Il expose jusqu’au 6 septembre à la galerie parisienne Huberty-Breyne. Rencontre avec l’auteur dont le talent dépasse Le Déclic, l’ouvrage qui l’a consacré Maestro.
Pour un public qui va bien au delà des lecteurs de bande dessinée, vous êtes avant tout l’auteur du Déclic…
Le Déclic m’a étiqueté, c’est vrai. Je suis devenu pour certains une sorte de gourou de l’érotisme, pourtant je ne suis pas professeur en la matière. J’espère pouvoir traiter de beaucoup d’autres thèmes que celui-ci. Mais ça a été une aide dans ma carrière, la possibilité d’être reconnu. Quand je l’ai dessiné, j’ignorais qu’il allait connaître ce succès. Loin de moi l’intention de faire un chef d’oeuvre, je voulais juste faire un jeu, raconter une histoire très légère. Le titre italien du Déclic est d’ailleurs « Le jeu ».
Le Déclic a rapidement connu le succès, qu’est-ce-qui a si bien fonctionné dans ce « jeu »?
L’histoire a frappé la fantaisie des lecteurs ou révélé un fantasme partagé par beaucoup. Et pas seulement par les hommes à en croire le courrier de femmes que j’ai reçu. Peut-être parce-que la libido y est déculpabilisée. Dans le Déclic, le sexe est déclenché par une petite boîte, une machine, qui manipule le désir. N’importe quel sexe est justifié et donc pardonné, la faute à cette petite boîte !
Vous finissez actuellement une bande dessinée sur le peintre italien Le Caravage, après avoir terminé une série sur les Borgia avec Jodorowsky au scénario, l’Histoire est une de vos passions ?
J’ai aussi réalisé des albums de l’Histoire de France en bandes dessinées. Je crois à la vocation presque pédagogique d’illustrer l’Histoire. Et la BD rend l’Histoire visible. Quand Charles Martel est confronté aux guerriers arabes à Poitiers, on peut voir en BD que les chevaux francs et leurs cavaliers sont beaucoup plus massifs que les petites montures des Arabes. On a l’impression de voir ce qui s’est passé, c’est très important ça. Sans dépenser des fortunes comme au cinéma, le dessinateur peut reconstituer décors et costumes. Il n’y a pas de limites, en ce sens, la bande dessinée est le moyen privilégié de raconter l’Histoire.
Pourquoi toujours ce côté sulfureux à l’Histoire que vous mettez en images ?
Sulfureux mais aussi en souffrance et rebelle comme dans Le Caravage. Ce formidable peintre est mort avant 40 ans, la censure l’a condamné. Il s’est servi d’une prostituée tuée, noyée, le ventre gonflée comme modèle pour peindre la Mort de la Vierge. Il n’acceptait pas le pouvoir politique et religieux et il l’a payé. Caravage n’est pas dépassé, il est très actuel. L’Histoire n’est pas découpée en morceaux, c’est un tout. Les musées sont peuplés d’oeuvres vivantes.
Même si vos récits ne sont pas toujours érotiques, les femmes y sont toujours présentes et parfois même dénudées…
C’est Jean-Claude Forest (*) qui m’a permis de découvrir la BD adulte. Avant je n’étais pas intéressé. J’ai découvert avec lui la possibilité de dessiner des femmes et de raconter des histoires où il y avait des femmes. Quant au nu, il est pour moi le seul moyen de se rapprocher de l’éternité. Le corps nu est en dehors du temps et de l’espace, sans contingence aucune. Après 40 ans, j’ai toujours la même émotion à suivre le contour d'un corps nu. Cette sensation existe depuis la Grèce antique.
Justement après ces 40 années de dessins, le titre de Maestro vous convient-il ?
J’ai l’âge de pouvoir être appelé Maestro mais je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un. Celui que moi j’appelais Maestro était Hugo Pratt. Je ne l’ai jamais appelé Hugo. Avec lui comme avec Fellini pour qui j’ai réalisé des affiches, j’avais l’impression d’être à l’école, à l’atelier. Même si dans le dessin, j’ai plus emprunté à Moebius, ma construction du dessin, du scénario, je la dois à Hugo Pratt.
(*) auteur de Barbarella