La vague peut faire chavirer l'embarcation à tout instant. Des familles entières courent le risque d'une mort collective. Des Etats se mobilisent, ou refusent et tergiversent. 40 années de distance séparent la Méditerranée d’aujourd’hui, de la Mer de Chine d’hier.Suivez l'histoire de "l'île de lumière".
Les boat-people étaient vietnamiens, à présent les naufragés de l’histoire sont somaliens, érythréens, syriens…Mais les mêmes bateaux d’infortune relient les lieux et les époques, le même effroi, la même issue fatale, sauf qu’en réalité tout était différent.Les images ont forcément quelque chose en commun. Le spectacle de l’humanité en détresse avec pêle-mêle toute une iconographie : L’embarcation des plus précaires, les regards qui traduisent l’angoisse, bref, l'îlot de vie perdu au milieu d’une immensité mouvante, prête à engloutir « les femmes et les enfants d’abord ». Accablement et impuissance devant tant de malheur.
Dans les années 70, on appelait cela, les boat-people. Les secousses de l’histoire font de nombreux vietnamiens, des fugitifs. Avec la chute de Saïgon, la panique pousse vers l’exode, les familles - surtout -du sud, le régime communiste les qualifie « d’ennemies du peuple ». Camps de rééducation, délation organisée, le nouveau gouvernement ne s’embarrasse d’aucune précaution. Son mot d'ordre est d'une simplicité brutale: « Partez, pourvu que vous laissiez tout derrière vous !» Seule issue possible, la mer. Des filières s’organisent, les passeurs agissent avec l’approbation des autorités. Prix exorbitant pour la traversée, en fait, la corruption règne à tous les étages. Le drame se noue encore un peu plus avec les populations vietnamiennes d’origine chinoise, les Hoa. Ce sont des commerçants dont le pouvoir s’évertue à faire disparaître l’activité. Les Hoa vont constituer les principaux contingents des ces femmes, hommes et enfants à bord de coquilles de noix candidats au voyage plus qu’improbable de la baie d’Halong à Hong-Kong. Des pirates viennent parachever ce cauchemar, ils détroussent, tuent….Et il n’est pas rare que des violences éclatent entre fuyards, cela finit par des gens que l’on jette à l’eau.
Le monde s’est ému. L’odyssée d’un bateau, le Haï Hong y a fortement contribué. Près de 2500 personnes sont à bord, dont 1260 enfants. Sur le rafiot la promiscuité est épouvantable, la fournaise de la météo locale grille littéralement tous les malheureux passagers. Plus de nourriture, plus d’eau. Sollicitée pour accueillir le cargo, l’Indonésie refuse. Un appel est lancé à la Malaisie voisine. Des images de ce calvaire maritime parviennent enfin. Les écrans du monde entier diffusent l’horreur de la situation, l’émotion est à son comble, d’autant qu’un bras de fer s’engage entre le Haut commissariat aux réfugiés et la Malaisie très réticente à accueillir les boat-people. Finalement, la France, la Grande-Bretagne, la Hollande, le Canada, la Belgique, les Etats-Unis décident de recevoir celles et ceux du Hai Hong…Les images ont aidé à emporter les préventions politiques.
Mais le mouvement ne s’arrête pas là. L’appel « un bateau pour le Vietnam » est lancé par « le docteur » Bernard Kouchner, André Glucksmann, l’écrivain allemand Heinrich Böll, Raymond Aron, Sartre, Yves Montand…Il s’agit d’aller à la rencontre des réfugiés de la mer de Chine, littéralement agglutinés sur l’île de Poulo-Bidong. 34 000 personnes « réunies » dans un espace de 800 mètres sur 300, les conditions de vie y sont effrayantes, affirment les témoins. Le bateau qui est un caboteur, a été affrété en Nouvelle Calédonie grâce aux dons récoltés au moment de l’appel. 5 médecins français sont à bord ainsi qu’une infirmière. D’énormes travaux ont transformé l’embarcation en navire hôpital.
On le voit ce bref récit montre assez la proximité dramatique des situations de naufrage massif entre hier et aujourd’hui. Mais dans les années 70 la solidarité des États –après celle des initiatives privées – a fini par l’emporter. En fait, pour des raisons critiquables ou pas (exacerbation de la sensiblerie a-t-il été dit) une prise de conscience des occidentaux a bel et bien eu lieu. Les intellectuels de nombreux pays se sont fait entendre, malgré la corruption, et les intérêts de chacun…Il est vrai qu'avec le Vietnam, la France avait en partage une forte histoire, bien des naufragés parlaient français. De surcroît, c'était un régime politique qui les avait jetés à l'eau, le communisme et son absolue privation de liberté. Rien à voir avec la complexité actuelle des espoirs de printemps démocratique transformés en massacres quotidiens. Ajoutez à cela le radicalisme religieux et vous saurez pourquoi l'âge du capitaine ne fait rien à l'affaire. Sur l’île de lumière (le bateau pour le Vietnam) le capitaine François Herbelin avait 29 ans, sur le chalutier qui a coulé au large des côtes libyennes le commandant et son second, tous deux passeurs, ont respectivement 27 et 24 ans. Une proximité si différente.