A 20 heures et 13 secondes, la musique marque un temps. C’est l’instant prévu pour donner le top départ. Face à la caméra, montée sur un chariot dont on a dégonflé les pneus (pour mieux absorber les défauts du sol) François Mitterrand, le président de la République commence un parcours qui doit durer 4 minutes et 10 secondes. Le tapis rouge fit l'objet de toutes les attentions jusqu'au dernier moment.
Tous les deux mètres, des projecteurs accompagnent les pas du chef de l’État. L’homme a les yeux fragiles, le choix est fait de répartir la charge sur toute la distance. Le délai est court. En France, il n’y a pas assez de sunlights disponibles. Il faut en louer aux studios italiens de Cinecitta.
Un maître de la lumière a réglé les clairs obscurs de ce spectacle politique. Henri Alekan avait entre autres dirigé la photographie du film « La belle et la bête. » Précaution supplémentaire, des essais ont même eu lieu aux Buttes Chaumont, dans le studio 15 de l’émission « Le grand échiquier » pour ajuster la montée des lumières sur fond bleu.
Une petite dizaine de caméras doit saisir l’événement. C’est FR3 qui doit diffuser. Alors, on fait appel à Yves Barbara, le réalisateur en vogue à l’époque sur cette chaîne. En ce 7 février 1986, c’est autant le président que le chef de parti qui s’exprime dans le hall d’exposition de Lille. On est en pleine campagne électorale et l’enjeu est de taille. Les législatives ne s’annoncent pas sous les meilleurs auspices (la première cohabitation ne va d’ailleurs pas tarder). Alors pas question de voir se renouveler la mésaventure de la grue de Latché. Trois ans auparavant Antenne 2 avait en effet proposé à François Mitterrand de prolonger les vœux du chef de l’État par une interview avec quatre journalistes. Comme le président se trouvait dans sa résidence des Landes et qu’il ne souhaitait pas se rendre à Bordeaux, il fut décidé qu’on acheminerait une grue pour assurer vers Paris le relais hertzien des images de l’entretien. Mais le véhicule manqua le rendez-vous. Terrible courroux présidentiel. Cette fois, à Lille tout était prévu. En cas de panne générale d’électricité, un groupe électrogène de l’armée assurerait l’alimentation des projecteurs, émetteur et caméra principale sur l’orateur. Une hyper sécurisation. D’autant que l’on redoute un acte terroriste. Ils sont près de 5000 policiers pour 25000 militants /spectateurs et près de 200 journalistes. Les tireurs d’élite n’apprécient guère la foule des projecteurs. Quant au son du micro ou des micros, c’est un spécialiste des concerts classiques qui s’en charge, un ingénieur de Radio France.
Des experts de la communication politique se sont aussi penchés sur ce qui constitue un moment marquant de la parole politique publiée par un mass média. Gérard Collé et Jacques Pilhan ont réglé tous les détails de l’opération. Mais qui paye tout cela ? Le service public de la télévision, selon toute vraisemblance. La justification est sans appel.
Le petit écran assure par définition la captation des prises de paroles du président, on les diffuse soit intégralement sur les antennes nationales ou régionales, soit par extraits dans les jt. D’ailleurs des cassettes de la caméra cadrée sur l’orateur sont remises aux rédactions. L’opposition peut critiquer cette occupation des écrans mais rarement voire jamais, le coût de ces images. (Rappelons que la privatisation de la première chaîne n’aura lieu que plus d’un an plus tard.)
L’ère Mitterrand a ainsi mis au point les éléments essentiels du dispositif qui accompagnera tous les autres présidents de la cinquième République. Désormais,l’image du meeting fait partie de l’arsenal nécessaire à toute conquête politique. L’esthétique, la technique, l’inflation des moyens, il ne manque que le coup d’accélérateur donné par les chaînes d’info en continu. Cela ne va pas tarder.(à suivre)