Terrorisme, images et information: de lancinantes questions. (1)

Nous le savons, mais pour le journalisme, toute la difficulté est là, dans ce propos de François Heisbourg, spécialiste de géopolitique:

« Un acte de terrorisme est un acte public. Ce n’est donc pas seulement un acte de violence, c’est aussi un acte médiatique. Il s’agit pour lui de frapper l’opinion et c’est en cela qu’il se différencie du criminel crapuleux. » Depuis plus de 40 ans, les mass médias français en particulier, sont confrontés à cette violence extrême. Que la menace vienne de l’intérieur de l’hexagone, ou de l’extérieur de nos frontières, toutes les publications  se posent sans cesse les même lancinantes questions : « Comment traiter les attentats, les prises d’otages que faire de ces images, des sons… ?» Brève histoire d’un tâtonnement.

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Le temps de la colonne Morris du terrorisme

Dans un premier temps, la télévision s’est contentée de rappeler les actions passées de tel ou tel groupe ou organisation qui revendiquait l’usage de la violence en politique. Tel était l’exercice de la rétro et de sa valeur ajoutée... quasi nulle. Par ignorance, nous nous sommes ainsi souvent transformés en colonne Morris de l’action terroriste. J’en fus l’un des acteurs, ajoutant même un soin particulier à ne pas manquer d’être exhaustif dans mon recensement. Et cela, on peut l’imaginer, pour le plus grand bonheur des auteurs de ces violences. C’était l’époque d’Action directe, de l’ASALA arménienne, de l’indépendantisme corse, de l’ETA et du GAL au pays basque, des tueries et autres détournements d’avions pratiqués par les diverses composantes palestiniennes… Quand par exemple, Action directe taguait de son nom le mur d'un immeuble secoué par un attentat, le geste était fait pour les caméras.La télé était une caisse de résonance. Etonnement, cela ne semblait gêner qui que ce soit. Les infos utiles empruntaient d’autres canaux, ceux de la presse écrite, des radios… Le petit écran était le lieu où le monde officiel réagissait, toujours caisse de résonance mais de la partie adverse,si l’on peut dire.

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L'exigence de l'enquête, de la pédagogie
Avec la multiplication des attaques en tous genres et des bombes dans Paris, est apparue l’exigence d’une information approfondie, qui mette en perspective les faits... En un mot, une volonté de savoir collective qui appelait à un vrai travail d’enquête, d’explication, on ne parlait pas encore de décryptage. Dans le Landerneau des détenteurs de renseignements, l’arrivée de nouveaux interlocuteurs ne fut pas saluée par des signes de bienvenue béate. Cela, parce que le journalisme se vit dans une rude concurrence, également, parce que les policiers devaient derechef s’ouvrir à d’autres, voire s’exposer au grand jour. Pas si simple pour eux. Alors que pour nous, il s’agissait ni plus ni moins de sortir de nos balbutiements professionnels.
« Toute politique anti terroriste inclut nécessairement un volet de communication », affirme François Heisbourg. « En France on a eu du mal à se faite à cette idée. Les services de sécurité avaient tendance à travailler avec une culture de la discrétion, du huis clos, comme on le fait dans toutes les enquêtes criminelles. C’est de là que vient cette culture du silence. »

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Le journalisme pris pour cible

Milieu des années 1980, Paris est l’objet d’une campagne d’attentats en particulier dans les grands magasins. Toute la France s’interroge : qui se cache derrière ces bombes ? A l’entrée des grandes surfaces on met en place des systèmes de contrôle, un sourd sentiment de peur s’installe peu à peu. Et dans certaines rédactions, les explications sont rugueuses entre les tenants du service de politique étrangère et ceux des informations générales. A l’été 1987, la mise en cause de l’Iran et l’encerclement de l’ambassade d’Iran dans ce que l’on a appelé l’affaire Gordji, sont l’occasion de confrontations. Au compte goutte, les infos des services spécialisés police, justice, passent la rampe du silence audiovisuel. Une vérité policière se heurte à la vérité diplomatique, heureusement cette guerre des services éditoriaux ne durera pas.

Une autre réalité nouvelle rappelle tout ce beau monde à plus de raison. Dans les grands conflits mondiaux, le reporter n’est plus celui qui prend des risques au même titre que tous les témoins d’une zone de guerre. Il peut être pris en otage parce qu’il est journaliste, le voilà devenu monnaie d’échange. L’équipe d’Antenne 2 emmenée par Philippe Rochot le paiera au prix fort. 105 jours de détention au Liban, pour avoir voulu savoir comment était mort Michel Seurat, lui-même enlevé à Beyrouth en 1985 en compagnie de Jean Paul Kaufman, reporter à l’événement du jeudi. Déjà l’on évoquait une « organisation du jihad islamique » libanais, probablement un prête-nom du Hezbollah. Pendant toute la durée de ce douloureux dossier, la rédaction fut en quelque sorte placée sous tension. Dès le générique du jt, la question des otages était affichée chaque soir à la une, et nos informations scrutées par ceux là mêmes qui tenaient nos confrères, nous le savions. A cette époque les revendications, les vidéos des groupes terroristes sortaient au grand jour après avoir suivi des circuits complexes et lents. Il fallait authentifier. Ce que l’on fait aujourd’hui encore mais avec une autre rapidité.

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La naissance du "floutage" des visages
C’est à cette époque que furent érigés quelques principes de traitement de l’image et du son de ces documents plus que sensibles: "floutage" des visages d’otages (avec la technique dite de la "mosaïque", on sut par la suite que l'on pouvait aisément "démosaïquer" l'image), ne pas laisser entendre la voix de celui ou celle qui s’exprime sous la contrainte, tout en accordant la plus grande importance au surgissement d’une preuve de vie. Des principes toujours amendables, et parfois même oubliés dans le feu de l’action.Comme nous, la justice apprenait les réalités de ce jeu mortifère entre acteurs ultra violents, État et médias. Pendant ces années là, le juge Gilles Boulouque en charge de plusieurs de ces dossiers vivait quotidiennement sous cette chape d’angoisse. Il craignait qu’une de ses décisions ne provoque l’irréparable à Beyrouth où étaient détenus les otages français. En somme, nous étions tous sur le qui-vive.

Publié par Hervé Brusini / Catégories : Non classé