"Le Rappel des oiseaux" : le gore à l'état pur

Que faire de son corps après sa mort ? En Occident, il n'y a pas 36 000 options, on peut choisir entre l'inhumation et l'incinération. Au Tibet, dans la région du Kham, une troisième voie existe. Comme l'incinération, elle suppose la disparition du corps, mais sans crémation : le cadavre du défunt est dévoré par des vautours, à flanc de colline. Stéphane Batut a filmé ce rite bouddhique en 2009 et restitue cette expérience dans un documentaire, Le Rappel des oiseaux.

Il faut avoir l'œil bien accroché pour supporter ces images, prises lors d'une "visite" touristique sur le lieu des funérailles, organisée par l'hôtel où le documentariste est en vacances avec sa famille. Voyeuriste par définition, Le Rappel des oiseaux questionne nos mœurs, nos certitudes et nos appréhensions en tant que mortels. La mort y rayonne sous un jour nouveau.

Festin funèbre

Ici, nul croque-mort ni thanatopracteur. Le corps du défunt est déposé à même l'herbe, parsemée de détritus et de sacs plastiques. Face contre terre. Les vêtements sont retirés à la va-vite. Le corps est déjà bleu. Les cheveux sont coupés. La peau est entaillée, le cadavre rendu appétissant pour les oiseaux nécrophages. Les touristes filment, photographient. Le festin peut commencer.

Une quarantaine d'oiseaux fondent sur leur proie. Le mets est réduit à l'état de squelette écarlate en quelques secondes. Stéphane Batut filme cet effacement. Le corps est transparent, l'herbe se glisse entre les côtes décharnées. C'est à ce moment que la scène tourne absolument au gore. Le moine-équarrisseur s'avance, bâche opaque autour de la taille et hâche à la main, pour finir le travail. Il charcute ce qui reste du cadavre pour offrir toutes les miettes aux rapaces. A la fin, il ne reste plus rien. Une pierre est simplement déposée à la place du corps. Pas d'inscriptions, pas de fleurs. La nature a repris ses droits. 

A jamais dans les airs

On a beau vivre dans une société gorgée d'images sanglantes, des informations aux sites trash en passant par les films d'horreur, on n'est pas préparé pour voir ça. Ce n'est pas tant la violence du procédé qui gêne, que la bienveillance qui l'accompagne. Violence sacralisée. On se demande comment la petite équipe chargée d'organiser ce rituel s'est habituée, au point de vivre un moment qui semble banal. Un corps humain est broyé à 5 mètres d'eux, sous leur responsabilité, et ces hommes plaisantent. Leur détachement reste un mystère.

Rappel3

Pour mettre un sens sur ces images qui nous paraissent insensées, le documentariste échange avec un réfugié tibétain, en voix off. En annihilant le corps, les oiseaux permettraient à l'esprit d'accéder à une forme de paradis... Farfelu, vu d'ici. Mais si j'étais née dans la région du Kham, ne serais-je pas tentée de croire la même chose ? Pourquoi suis-je à ce point dépendante des superstitions de mon entourage ? Certains font disperser leurs cendres en mer, d'autres rejoignent le caveau de famille. Après tout, être réintégré au cycle de la nature contient aussi une forme de beauté, voire de pureté. Avoir le ciel pour tombeau, respirer par les plumes. Et planer, indéfiniment.

Rejoindre Contrechamp sur Facebook

Crédit photos : JHR Films

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu