Pierre Niney vient-il de tourner dans son premier navet* ? C'est malheureusement un peu ce que l'on se dit en sortant du thriller Un homme idéal, de Yann Gozlan. Hommage croisé à Plein soleil et La Piscine, qui lorgne aussi vers le cinéma de Claude Chabrol, Un homme idéal raconte l'histoire d'un déménageur qui se rêve en écrivain (Pierre Niney) et profite de la découverte du manuscrit d'un défunt pour publier un premier roman à succès, Sable noir. Cette usurpation d'identité éhontée fonctionne pendant trois ans, jusqu'à ce qu'un ancien ami du défunt, vétéran de la guerre d'Algérie, prenne conscience de la supercherie et le fasse chanter...
[Attention, spoilers partout]
Dès lors que le jeune imposteur est démasqué par cet inconnu, il n'a de cesse de s'enfoncer dans le mensonge, allant jusqu'à tuer le meilleur ami (Thibault Vinçon) de sa jeune riche et jolie compagne (Ana Girardot), dont il est éperdument amoureux, mais qui est visiblement trop cruche pour s'apercevoir de quoi que ce soit. Comme dans Big Eyes, de Tim Burton, le faux artiste préfère agraver son mensonge plutôt que de révéler la vérité. Problème, à chaque mensonge correspond une invraisemblance de scénario, que l'on accepte bon gré mal gré, jusqu'à ce que le pacte de lecture explose définitivement au dénouement. J'ai passé quelques coups de fil à des avocats et des pros de l'ADN pour comprendre si cette fin tenait debout. Certes, je pinaille, mais quel est l'intérêt d'un thriller sinon l'élaboration méticuleuse de son dénouement ?
Reprenons quelques instants avant l'ellipse finale. Notre héros provoque un accident de voiture, tue le maître-chanteur, fait croire à sa propre mort... Et y parvient, puisqu'il redevient déménageur et que son second livre, qui est censé raconter la même histoire que le film, est un succès. Déclaré innocent, notre imposteur ? Cela paraît peu probable. Il faudrait déjà pour cela que le corps du maître-chanteur soit totalement désintégré dans l'incendie. Selon la généticienne Catherine Bourgain, que j'ai contactée, c'est techniquement possible. "Si tout a brûlé, on ne retrouve rien." Mais, il y a un mais...
L'ADN au cœur de l'enquête
Admettons (et cela paraît difficile, sur une route fréquentée du Midi) que le corps ait le temps de brûler intégralement. Cela ne résout pas le problème de l'enquête de la gendarmerie, qui devait prélever des échantillon ADN de Pierre Niney pour élucider le meurtre de Thibault Vinçon. "La justice peut exiger que l'on déterre un mort pour effectuer des prélèvements ADN, si l'on a un doute dans une affaire criminelle", rappelle Catherine Bourgain. Dans ce cas précis, un faisceau d'éléments converge : la nuit du crime, Pierre Niney l'a passée dehors et il est rentré à l'aube, tout trempé. De plus, il est le dernier à avoir aperçu le défunt... En toute vraisemblance, la gendarmerie aurait dû se débrouiller pour prélever son ADN, sur un élément avec lequel il aurait pu entrer en contact (par exemple, l'ordinateur portable de sa petite amie).
J'ai demandé à l'avocate pénaliste Cannelle Farnier ce qu'il en était d'un point de vue strictement procédurier. La mort d'un homme met-elle fin à un dossier qui le concerne potentiellement ? Oui... mais non. "Quand une personne décède, il y a une extinction de l'action publique qui pèse contre elle." On ne peut pas traîner un cadavre devant les tribunaux, et c'est heureux. Mais pour cela, il faut que cette personne soit inculpée, mise en examen. La mort de Pierre Niney ne clôt pas l'enquête sur l'ami d'Ana Girardot. "En général, les familles des victimes font en sorte que l'enquête aille jusqu'au bout." Dans le cas d'un jeune bourgeois obsédé par l'ordre et les belles armureries, on peut imaginer que la procédure soit portée jusqu'au bout, et que la famille ne se contente pas d'un point d'interrogation.
D'où cette question : pourquoi les enquêteurs ne poursuivraient-ils pas leurs investigations ADN ? On rappelle que la trame du film est répertoriée dans son second livre. Les enquêteurs ne sont pas complètement benêts... Je ne trouve pas de réponse. La seule issue vraisemblable que j'imagine est donc la suivante : le corps se désintègre, mais les enquêteurs découvrent que l'ADN du meurtrier est celui de Pierre Niney, car la famille bataille en justice pour élucider le mystère. Ana Girardot n'avorte pas, parce qu'elle est d'une famille tradi et que le planning familial près de chez elle a fermé en raison des coupes budgétaires. Néanmoins, elle maudit Pierre Niney jusqu'à la fin des temps, détruit son manuscrit et jure de ne plus tomber amoureuse d'un écrivaillon qui ressemble vaguement à Alain Delon. Davantage crédible, certes, mais moins sexy...
Crédit photos : Mars Distribution.
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*ou deuxième avec Yves Saint Laurent, comme le font remarquer certains lecteurs, mais c'est un autre débat 🙂