"Arrête ou je continue" : Devos et Amalric à l'épreuve du couple

Que faire d'un amour qui ne rend plus heureux ? D'une relation en phase de survie ? D'un autre avec lequel on ne partage plus qu'un quotidien ? Le nouveau film d'Hélène Fillières, Arrête ou je continue, s'attaque à ces questions millénaires avec un ton à la fois étrange et serein. Dans sa première partie, le couple bringuebalant incarné par Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric, Pomme et Pierre, des quadras classe moyenne qui prennent des cours de gym à domicile ensemble, passe son temps à se tirer dans les pattes. Chacun soupçonne l'autre de ne plus l'aimer -surtout Pomme - et l'amertume, le doute ont laissé place à une complicité qu'on imagine jadis sincère et rieuse.

[Attention, ce qui suit révèle la fin du film]

Après une énième prise de bec lors d'une randonnée, Pomme décide de partir seule dans la forêt. Elle y dort sous un K-Way, et parle avec des lapins. Ce retour à l'état de nature s'avère salvateur : à son retour, lors d'un génial plan séquence dans la cuisine, elle quitte Pierre. Pas d'explications, pas de cris. Le couple était une épreuve, le célibat sera libérateur. Une conclusion tout en douceur, qui tranche avec la plupart des films de séparation, où l'on finit par se battre autant par peur de la solitude que par amour pour son conjoint.

C'est l'histoire d'un chamois...

Quand on est dans la phase "pourrie" d'un couple, comme Pomme et Pierre, il y a mille et une façons de retourner le problème, mille et une raisons de quitter l'autre - et mille et une de rester avec lui. Mais parfois, un simple événement suffit, une micro-expérience qui nous fait regarder le monde différemment. C'est ce qui se produit avec Pomme. "Rester seule dans la forêt, n’être plus avec lui, sous son regard, la rend à elle-même, raconte Hélène Fillières dans un entretien avec le distributeur du film, Les Films du losange. Si la forêt est un lieu où elle doit survivre, c’est essentiellement à Pierre qu’elle survit, pas à la vie sauvage en pleine nature." Cette mise au vert, à la fois cocasse et sympathique, est une sorte de métaphore du chemin personnel à accomplir pour se sortir d'une situation inextricable. Plutôt que de ruminer, Pomme s'ouvre au monde extérieur et retrouve cette capacité de décider, d'agir seule et d'être surprise, qui lui faisait défaut avec Pierre.

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La métaphore champêtre n'est pas seulement là pour faire joli, elle est aussi performative. Lors de ce séjour dans les bois, Pomme rencontre effectivement des éléments qui la transforment. En premier lieu, un couple de lapins qu'elle aimerait bien cuire pour dîner et qu'elle considère cyniquement, comme un signe avant-coureur de sa propre histoire : "Ça ne durera pas entre vous." Dans un second temps, un chamois coincé dans un fossé, d'où elle l'aide à s'extraire. Comme lui, Pomme est une bête piégée, à bout de forces. Lorsqu'elle raconte cette anecdote à Pierre, dans leur cuisine, l'analogie prend tout son sens. Pomme ne lui communique pas seulement le plaisir d'avoir vécu un moment incongru, elle lui signale au passage que ce chamois, c'était elle. Et qu'elle aussi est désormais libre.

La liberté retrouvée

"Quand elle se met du noir de suie sur les joues, sans ignorer que personne ne peut la voir, ni un miroir la réfléchir, elle est elle-même, grâce à une solitude chèrement gagnée, poursuit la réalisatrice dans cette interview. Il y a une sorte de hantise mortifère à s’accrocher l’un à l’autre au-dessus d’un vide creusé par leur conjugalité." Lorsque Pomme part de chez elle, à la toute fin du film, Pierre lui demande (je cite de tête) : "Tu pars, comme ça ?" Et elle répond (toujours de tête) : "Oui, comme ça." Comme un coup de foudre inversé, Pomme rompt en un éclair de temps. N'est-ce pas la plus belle des ruptures ?

Arrête ou je continue est sorti à peu près au même moment que d'autres comédies/drames sur les casse-tête amoureux : Situation amoureuse : c'est compliqué ; Les Gazelles ; Her ; Supercondriaque, etc. A chaque fois, le célibat y est décrit comme un état sentimental par défaut, une source d'angoisse forcément difficile à vivre. Chez Hélène Fillières, c'est l'inverse. L'enfer, pour paraphraser Sartre, redevient "les autres". Si au départ, le titre de son film rappelle la chanson Je t'aime, moi non plus de Gainsbourg, il peut également être compris comme une interrogation plus simple : "J'arrête ou je continue [dans ce couple dévitalisé] ?" Plutôt qu'une approche fataliste et masochiste du couple-qui-se-déteste-mais-ne-peut-vivre-l'un-sans-l'autre, Hélène Fillières propose une vision joyeuse du célibat. Nul doute que le sequel de la vie de Pomme sera forcément passionnant.

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu