"Gravity" ou la fantastique renaissance de Sandra Bullock

C'est le genre de "come-back" dont le 7e art raffole. Qui aurait imaginé que Sandra Bullock, la-brune-qui-jouait-dans-Speed-en-1994, atteindrait de tels sommets avec Gravity, le film immersif d'Alfonso Cuaron ? L'actrice, âgée de 49 ans, avait quelque peu disparu de nos radars (du moins en France), enchaînant comédies mollassonnes et films d'action anecdotiques. Grâce à Gravity, qui fait un carton aux Etats-Unis et en France, elle est entrée dans le top 50 des acteurs/actrices les plus bankables. Un succès critique (enfin !) et public : comment expliquer ce brillant retour ?

De la genèse "Speed" à l'Oscar

J'avais 8 ans lorsque j'ai vu mon premier film avec Sandra Bullock. C'était Speed, de Jan de Bont, en apparence un film pas très intéressant mais qui m'a appris plein de choses : convertir les miles/heure en kilomètres/heure, flinguer l'otage en cas d'ultimatum, ne pas courir après un bus quand on est en retard. Et puis, j'y ai découvert une femme capable de tenir tête aux hommes (en plus de conduire ledit bus) et de rester classe dans les pires situations. J'étais émerveillée par cette scène finale, où la transpiration de deux corps luttant pour leur vie devenait celle, érotique, de deux êtres enlacés.

Speed

Woman on top.

Si l'on met de côté Demolition Man, sorti l'année précédente, Speed constitue LE film qui révèle Sandra Bullock aux yeux du grand public. Une éclosion relativement tardive, puisque l'actrice a 30 ans en 1994. Toutefois, après ce succès mondial, Sandra Bullock peine à transformer l'essai. Elle embraie sur des thrillers vite oubliés (Traque sur internetLe Droit de tuer ?) et amorce un virage romantique périlleux (Le Temps d'aimer, Ainsi va la vie). Au cours des années 2000, Sandra Bullock affine son talent comique, avec plus ou moins de succès (Miss Détective 1 et 2, L'Amour sans préavis), sans oublier de jouer les snobs étriquées de temps en temps, histoire de rester crédible (Collision). Le public suit ses choix, pas toujours très heureux.

"Gravity", le grand film qu'on attendait

2009 est une année cruciale outre-Atlantique pour Sandra Bullock. Aux côtés de Ryan Reynolds, elle fait un premier carton dans la sympathique rom-com La Proposition, qui engrange plus de 150 millions de dollars au box-office mondial. Rebelote quelques mois plus tard avec The Blind Side, qui rapporte pas moins de 250 millions de dollars. Ce drame, dans lequel elle campe le rôle d'une mère de famille prenant sous son aile une sorte de Bubba Gump doué au football américain, lui vaut de recevoir l'Oscar de la meilleure actrice en 2010, au nez et à la barbe d'Helen Mirren et de Meryl Streep. Pour Entertainment Weekly (en anglais), elle est, en 2010, l'actrice la plus puissante au monde.

Ce sacre, vu de France, a quelque chose de surprenant. D'incompréhensible, même, dans la mesure où The Blind Side, directement sorti en DVD (!), est plutôt passé inaperçu. Comme l'écrivaient Les Inrocks à l'époque, il régnait alors une forme de mystère autour de Sandra Bullock. "Surveillons la : surtout quand elle fera enfin un grand film", prophétisait l'hebdomadaire. Trois ans plus tard, l'actrice lui donne raison. Gravity séduit la Terre entière, Sandra Bullock renaît pleinement.

[Attention, ce qui suit révèle certains éléments de l'intrigue de Gravity]

Rejoindre "Mother Earth"

Tout ceci ne nous explique pas pourquoi Gravity, "survival" à la fois grandiose et minimaliste, nous semble si singulier, si charmant. Je ne reviendrai pas sur les prouesses techniques de l'œuvre d'Alfonso Cuaron, louées par James Cameron, Darren Aronofsky ou Jon Favreau. J'y souscris pleinement. Mais Gravity n'est pas qu'un blockbuster éblouissant, c'est aussi un face-à-face haletant entre son héroïne et le spectateur. C'est à elle, et non à George Clooney, que l'on s'identifie, c'est à elle que nos yeux s'agrippent, c'est au rythme de son cœur que le nôtre se met à battre. Sandra Bullock confirme ce que l'on pressentait, sans le savoir : c'est une actrice au talent complet, chose rare à Hollywood. Cette brune aux yeux marrons rassemble les qualités athlétiques d'Angelina Jolie -à qui le rôle était destiné initialement- et comique de Cameron Diaz, tout en assumant une part de fragilité qui permet l'empathie.

Une scène de Gravity m'a particulièrement touchée. Sandra Bullock, sur le point de tout abandonner après des heures de lutte infructueuse, entend un chien aboyer à la radio. Moment de flottement mélancolique... jusqu'à ce qu'elle se mette finalement à aboyer comme lui. Wouf ! Silence... Wouf ! Wouf ! Le tourbillon de la vie resurgit, à des milliers de kilomètres de distance. A cet instant, le Dr Ryan Stone, qu'elle interprète, choisit de se battre non pas pour son enfant disparu, mais pour l'aboiement d'un chien qu'elle ne verra jamais. Elle décide d'embrasser le plein plutôt que le vide, aussi dérisoire ce plein fût-il. En quelques secondes, le spectateur passe, comme Sandra Bullock, du rire aux larmes. Mais ces larmes n'ont plus le goût du désespoir.

Bullo

"Don't let go"

Gravity est parsemé de symboles maternels : les cordons (ombilicaux) qui relient les deux astronautes, les casques (utérins) qui encapsulent le souffle vital, le plan de Sandra Bullock qui se cale en position fœtale, etc. Entre deux boutades, Matt Kowalski, le vétéran de l'espace interprété par Clooney, qualifie notre planète de "Mother Earth", sans quitter des yeux sa collègue Ryan Stone. Privée de son enfant, Sandra Bullock n'est plus une mère, elle redevient elle-même un enfant qui tente de retrouver sa génitrice, notre mère à tous, la Terre. Son personnage, embryon perdu dans l'immensité de l'espace, s'impose donc de renaître dans la carlingue du module censé la renvoyer sur Terre. Pouvait-on imaginer plus belle régénération pour cette actrice dont la carrière avait connu si peu de moments de grâce ?

Crédits photos : AFP / Warner Bros

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu