La presse en dit beaucoup de mal, et pourtant, Diana, du réalisateur allemand Oliver Hirschbiegel, est loin d'être un biopic indigeste ou sans idées. D'abord, parce qu'il se concentre sur une portion très courte de la vie de Lady Di, 1995-1997, soit les deux années précédant sa mort et qui correspondent à sa romance méconnue avec un cardiologue pakistanais, Hasnat Khan. Ensuite, car il s'empare d'une façon très habile des images d'archive de la princesse de Galles (jouée par Naomi Watts), images que nous avons tous en tête et qu'il eût été difficile d'ignorer.
Venant du réalisateur de La Chute, qui nous projetait dans le bunker d'Adolf Hitler aux derniers jours du IIIe Reich, le choix de Diana ne peut qu'intriguer. Tandis que dans La Chute, les images d'archives disponibles sont (quasi) inexistantes, Diana s'appuie potentiellement sur un panel d'images foisonnantes : des milliers (millions ?) de clichés et vidéos de Diana, parfois présentée comme la femme la plus photographiée des années 90. Mais que faire de tant d'images ? Lesquelles choisir ? Faut-il les utiliser en tant qu'archives, comme celles du procès Eichmann dans Hannah Arendt ? Les faire rejouer par Naomi Watts ? Partir sur tout autre chose ? Oliver Hirschbiegel répond simplement : il faut en faire du cinéma. Voici trois moments célèbres de sa vie revisités par Oliver Hirschbiegel et qui montrent, à mon avis, que Diana ne mérite pas le titre de navet cuit et recuit.
Son interview-confession à la BBC
"Nous étions trois dans ce mariage. Ca faisait un peu trop de monde." Cette réplique est sans doute l'une des plus célèbres de la princesse Diana. Alors qu'elle et son époux Charles sont séparés depuis peu, Lady Di décide de se livrer lors d'une interview à la BBC, dans l'émission "Panorama". Regard douloureux, pose de défi : le charme de la princesse est plus sombre que jamais. Coup de griffe mémorable.
Au cinéma. Dans le biopic, Hirschbiegel choisit de ne jamais montrer le vrai visage de Diana, même à l'occasion de ce témoignage vidéo. Naomi Watts a donc réinterprété quelques minutes de cet entretien, amorcé en douceur par le réalisateur. Pour éviter le choc frontal avec le document, le cinéaste fait répéter le personnage devant sa glace (subtile mise en abyme, au passage). Le texte est répété une première fois, puis une seconde, en voix off, devant le visage impassible de la princesse, toujours face au miroir. La troisième est la bonne : on retrouve Naomi Watts sur un écran de télé, dans un pub où son amant pakistanais sirote une pinte. Quatrième temps, l'écran de télévision disparaît et l'on retrouve Diana sur le plateau de la BBC. Contrechamps répétés dans le pub, on ne sait plus trop à qui s'adresse Diana : au journaliste, à Charles, à son amant, aux Britanniques, au monde entier, ou bien à elle seule ? Sans ces différents découpages, une telle confusion serait difficile à faire ressentir. Démonstration réussie.
Son combat contre les mines antipersonnel
Si vous deviez choisir une photo de Diana qui vous a marqué, laquelle choisiriez-vous ? Peut-être une qui la montre avec un casque transparent sur le visage et un gilet par balles, lors d'un déplacement en Angola contre les mines anti-personnel.
La princesse Diana en visite à Huambo (Angola), le 15 janvier 1997.
Au cinéma. Ce déplacement est suivi par une foultitude de photographes et caméras de télévision, que la jeune divorcée, reconvertie dans l'humanitaire, a emmenés dans ses bagages. Une scène de Diana revient sur cet épisode. La princesse est dans un champ déminé depuis peu, accompagnée d'un professionnel du déminage. De l'autre côté du champ, une barrière derrière laquelle s'entassent les journalistes, qui entament une discussion à son sujet. "Ca ne sert à rien de la photographier comme ça. -Attends, j'ai entendu dire qu'une personne était morte il y a trois semaines en traversant ce champ !" Instantanément, tous les objectifs se braquent sur Lady Di, avides de ne pas rater le moment hypothétique où elle sauterait sur une mine. La caméra revient alors sur elle, la filme de dos. Ce n'est plus un événement médiatique, auquel on assiste, c'est à un simulacre d'exécution. Diana, seule face aux clic-clic-clics du peloton de journalistes la mitraillant. La métaphore fait passer un message clair, émouvant, sans lourdeur.
Elle, assise seule sur la pointe du yacht de Dodi Al-Fayed
Dernière image, enfin, LA photo de Diana, assise seule, en maillot de bain bleu, sur le plongeoir du yach de Dodi Al-Fayed, son nouvel amant. Le couple se connait depuis peu et l'on soupçonne la princesse de jouer avec les paparazzi. Pourquoi ce cliché est-il aussi fameux ? Que dit-il de la princesse, à ce moment précis ?
Au cinéma. Les contacts avec les journalistes sont réguliers, mais finalement assez peu nombreux, au cours du film. Peut-être pour ne pas donner une impression de déjà-vu à "la scène du yacht", qui arrive à la toute fin du biopic. Une chose étonne, c'est à quel point Dodi Al-Fayed et Diana communiquent peu. Une seconde dérange, quand la princesse assure à un photographe que la séance de pose à distance est finie... avant de ressortir de sa cabine avec ce maillot de bain bleu, telle un Deus Ex Machina. La meute de paparazzi accourt, un petit bateau à moteur fait mine de s'approcher. Le plan suivant nous montre des dizaines d'oiseaux s'envolant d'une petit île située à proximité du bateau. Au cinéma, ces battements d'ailes apeurés annoncent généralement un malheur à venir. Ici, ils annoncent le flash déclenché par un photographe camouflé entre deux buissons, sur cet îlot. Belle ellipse ! On se demande si Diana sait ce qu'elle fait, mais la question n'est pas là. Ce que la princesse veut montrer, seule sur la pointe de ce yacht, les jambes ballantes, les reins légèrement creusés, c'est qu'elle n'a plus peur du vide. Elle a connu le grand amour, en la personne d'Hasnat Khan, domptant son vertige de l'amour insincère. Un mois avant sa mort, elle n'a jamais eu l'air aussi seule, ni aussi libre.
Crédits : SIPA / AFP