On s'en serait bien passé, mais finalement la voilà, la polémique ciné de l'été. Dans une interview à Grazia, l'actrice Léa Seydoux, bientôt à l'affiche du palmedorisé La Vie d'Adèle, d'Abdellatif Kechiche, et de Grand Central, de Rebecca Zlotowski (sortie le 28 août), tient des propos jugés homophobes ou du moins, caricaturaux sur les lesbiennes. Les gens en parlent sur Twitter, Yagg y consacre un article, repris par la presse généraliste en ligne... Et le démenti de l'intéressée ne devrait pas tarder à arriver.
Voici ses propos évoquant le tournage de Grand Central : "Par moments, dit-elle, je me suis trouvée jolie, sexy, mais il y a des plans où je me trouve nettement moins belle ! On dirait un peu une lesbienne (Rires) Attention, je ne dis pas que les lesbiennes ne sont pas jolies, surtout que j'ai fait un film où j'incarne une lesbienne. Je crois justement que c'est parce que je venais de jouer une fille masculine dans La Vie d'Adèle que ça me plaisait vachement de jouer une fille très féminine. Je l'ai peut-être accentué inconsciemment, et c'était très plaisant d'être dans les bras d'un garçon (Tahar Rahim), de jouer une histoire d'amour avec un mec ".
Propos déformés
Comme nous n'étions pas là durant l'interview, nous nous contenterons d'une analyse textuelle. Si l'on lit cet entretien de près, on se rend compte que le titre de l'article de Yagg, "Pour Léa Seydoux, les lesbiennes féminines n’existent pas" déforme ses propos. Tout d'abord, le "rires" entre parenthèses après la-phrase-qui-dérange indique qu'elle tente de faire une blague. Elle n'accuse personne, elle ne déclare rien, elle fait juste une réflexion qu'elle-même ne semble pas prendre pas au sérieux. Afin d'éviter tout malentendu, Léa Seydoux développe juste après : "Attention, je ne dis pas que les lesbiennes ne sont pas jolies". Soit l'inverse du titre choisi par le site internet qui a lancé la polémique.
On comprend en fait, en relisant ses propos, que l'actrice parle de son expérience en tant que "fille masculine" dans La Vie d'Adèle et non de toutes les lesbiennes en général. Je ne suis pas actrice, et je ne sais donc pas ce que représente le fait de me couper les cheveux ras pour un rôle et d'adopter une sexualité qui n'est pas la mienne. Ce n'est sûrement pas anodin. Je n'ai pas envie de juger son plaisir de jouer une fille "très féminine" après cela.
Léa Seydoux précise enfin que c'est "peut-être inconsciemment" qu'elle a forcé le trait de la femme féminine, un peu comme si elle se remettait à porter des jupes roses et des talons après un mois de camp scout. A mon sens, cet "inconsciemment" est plus un aveu d'humilité que de stupidité ou de méchanceté. Elle tente, face à la journaliste, de mettre des mots sur l'expérience de transformation qu'elle a vécue, et nul besoin d'avoir lu Lacan pour savoir à quel point les mots sont incapables de dire toute la vérité d'un sujet.
"Je suis une femme virile"
Ce n'est pas la première fois que Léa Seydoux s'aventure sur les terres du masculin-féminin, visiblement semées d'embuches. Elle s'est exprimée à plusieurs reprises sur cette question, lors d'interviews, au point de déclarer à L'Express, en 2011 : "On m'a souvent décrite comme un garçon manqué, ce n'est pas le cas. Je me définirais plutôt comme une femme virile... Vaillante ! J'ai toujours envisagé la vraie féminité comme un mélange de force et de confiance en soi". Faut-il aussi la sermonner pour cette expression de "femme virile" ? Non, car sa phrase signifie bien "la féminité emprunte des qualités a priori jugées viriles pour accéder à sa pleine définition". Tout est dans le "a priori".
En réalité, j'ai comme l'impression qu'on reproche à Léa Seydoux de la "jouer perso". Qu'en tant que jolie femme ayant, de surcroît, joué une lesbienne (rôle pas si fréquent au cinéma), elle devrait devenir un porte-parole LGBT. Je ne vois pas au nom de quoi elle devrait céder. Je la préfère spontanée, hésitante, complexe. Ironie de l'histoire, certains avaient craint, après le festival de Cannes, que La Vie d'Adèle ne devienne un emblême du combat pour le mariage pour tous. Cette polémique a au moins le mérite de prouver que l'art et l'actualité ne sont plus imbriqués.
Crédit photo : AFP