"Hijacking" : comment fixer le prix d'un être humain ?

On s'est tous posé la question au moins une fois, ivre en soirée, ou mélancolique, un dimanche après-midi : la vie d'un être humain a-t-elle un prix ? Et si oui, comment peut-on le fixer ? Une question dérangeante -mais essentielle- à laquelle se confronte le film danois Hijacking, de Tobias Lindholm, sorti il y a deux semaines. Sept employés d'une compagnie maritime sont pris en otage sur leur cargo au large de l'Inde par des pirates somaliens, dans une zone pourtant réputée sûre. Le PDG d'Orion Seaways, grosse PME danoise, prend la tête des négociations pour tenter d'obtenir leur libération contre une rançon.

Cette rançon est le point d'ancrage du film, qui alterne les séquences dans l'océan Indien et les bureaux grisâtres de la compagnie au Danemark. Tout tourne autour d'elle. Les pirates commencent par demander la somme gigantesque de 15 millions de dollars. Dès lors, le bras de fer consiste à réduire au maximum ce montant, quitte à risquer la vie de l'équipage...

L'art (délicat) de la négociation

Quinze millions de dollars, la somme n'est pas prise au hasard. Tout au début de Hijacking, le réalisateur filme les coulisses d'une négociation avec des clients japonais. Le PDG d'Orion Seaways (joué par Søren Malling) demande à son second (Dar Salim) de signer un contrat "en-dessous de 15 millions". On sait donc que la compagnie a de l'argent dans ses caisses.

Mais comme c'est une entreprise, qui cherche par définition à maximiser son profit et prend des risques, elle ne souhaite pas allouer cette même somme au sauvetage des sept marins otages. Le "spécialiste des situations de crise" embauché pour l'occasion assure d'ailleurs que si tel était le cas, les Somaliens réclameraient bien plus. La négociation n'a de sens que si les parties résistent.

Kapringen

1 cargo divisé par 7 hommes = ?

Comment donc fixer le prix de l'équipage, pour arriver à un terrain d'entente ? Le patron de la boîte ne peut pas répondre à cette question. En économie, le prix dépend en effet de l'offre et de la demande, or la vie d'un être humain ne peut être évaluée a priori. Pas de coût de production, pas de valeur ajoutée, pas d'économies d'échelle... Le vocabulaire économique n'est d'aucun secours. Il faut donc s'engager sur la voie rationnelle : la négociation aura pour objet le prix du cargo. Et pour un tas de ferraille vieillissant lui appartenant déjà, 15 millions paraissent excessifs.

Les tractations sont d'autant plus complexes qu'une variable ne peut jouer ici : le temps. "Le temps est une notion occidentale, il ne signifie rien pour les pirates", relève le gestionnaire de crise. Notre bon vieux proverbe : "Le temps, c'est de l'argent" ne vaut que pour les Danois. Les Somaliens n'ont rien à perdre, puisqu'ils ne possèdent rien. "When you got nothing, you got nothing to lose", chante Bob Dylan...

Hijack

Je ne dévoilerai pas la façon dont les deux parties sortent de la crise. Je note simplement que pour ce PDG, sauver ses hommes (et on ne peut douter de sa sincérité) revient à dire que le prix de leur vie correspond à ce calcul : 1 cargo divisé par 7 hommes. Même s'il avait payé 15 millions de dollars, la vie de chacun de ses employés n'aurait pas coûté plus de 2,1 millions de dollars, soit 1,6 million d'euros (sans compter l'argent perdu à côté du fait de la durée des négociations, mais le film reste muet à ce sujet). Le paradoxe intelligemment soulevé par Tobias Lindholm réside dans le fait que ce calcul cynique, voire terrible, est le seul moyen dont la compagnie dispose pour espérer récupérer l'équipage sain et sauf...

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu