Les 1001 aberrations de scénario de "World War Z"

Si Max Brooks était mort, il se retournerait sûrement dans sa tombe. Malheureusement pour lui, il est vivant. L'adaptation par Marc Forster de son livre World War Z, qu'il a publiquement reniée, n'est pas qu'une trahison de son histoire -toute adaptation a le droit de s'éloigner de l'œuvre première- mais une aberration en termes cinématographiques. La présence à l'écran de Brad Pitt, coproducteur du film, n'y fait rien. Dès les premières minutes, World War Z accumule clichés et incohérences scénaristiques. Et les quelques pistes intéressantes qu'il dessine sont abandonnées en un claquement de doigts.

Il serait fastidieux de faire l'inventaire de tous ces égarements, que l'on doit à Matthew Michael Carnahan, Drew Goddard et Damon Lindelof (voir IMDB). J'ai donc décidé de me pencher sur les séquences les plus invraisemblables, c'est-à-dire (SPOILER ALERT) de l'accident d'avion à l'inoculation du typhus par le héros principal. Comment leurs sont venues ces idées ? J'ai eu la chance de me glisser parmi eux...

Retranscription d'une séance de travail* (un peu tendue) entre les scénaristes. 

- Bon. Brad et la manchotte israélienne sont à l'aéroport de Jérusalem. Qu'est-ce qu'on fait d'eux ?

- Il n'y a pas d'aéroport à Jérusalem, Matt, il est entre Tel Aviv et la Ville sa...

- Shut up, Drew. De toute façon, le public sait à peine situer Israël sur une carte. J'ai pensé qu'on pourrait leur faire prendre un avion d'une compagnie obscure, mais pas la Corée du Nord, ça on en a déjà parlé. Les Soviets ? La Russie ?

- Va pas nous fâcher avec Poutine...

- Ok, la Biélorussie alors. Mais il faut absolument qu'un zombie soit déjà à bord de l'appareil, genre caché, pour surprendre tout le monde. Avec le montage, on devrait faire oublier aux gens qu'il faut douze secondes pour se transformer en zombie. On le fait sortir du placard en plein vol ? Après 3 heures de trajet ?

- Quel placard ?

- Les toilettes, le placard à balais, ton cul, qu'est-ce que j'en sais ! Bref, le mort-vivant terrorise l'avion et provoque un crash au-dessus du Pays de Galles. Ca manque de verdure notre truc, donc j'aimerais bien un paysage un peu joli. De la forêt.

- Bonne idée, mais comment ils vont faire pour retrouver le labo sans carte ni GPS ?

- L'instinct, Drew. Je te rappelle que Brad a fait la Sierra Leone ET le tsunami au Sri Lanka, c'est un génie. Disons qu'après le crash, il a un truc en fer coincé dans le ventre, mais qu'il arrive quand même à marcher 20 bornes et s'écroule pile devant le labo de l'OMS.

- Les spectateurs ne le savent pas encore, mais la moitié du bâtiment est infestée de zombies, Matt. Ils ne le repèrent pas, lui et sa pouffe rasée ?

- Tu as raison, les spectateurs ne le savent pas encore, c'est pour ça qu'on s'en fout. L'équipe les recueille, petit moment de défiance, puis discussions sur "comment s'en sortir". Ca vous va ? Bien. Soudain, Brad a son idée lumineuse : utiliser la maladie comme camouflage. Et on passe au climax, l'incursion dans l'aile zombifiée du bâtiment.

- Top. Au fait, sa femme... ?

- Elle va bien. D'ailleurs elle n'a jamais été en danger, même si on a fait croire le contraire. Pour cette scène, tu te souviens d'Une Nuit en enfer, de Robert Rodriguez ? J'aimerais bien qu'on fasse la même chose, des gentils armés d'un côté de la porte, des méchants de l'autre, et un long couloir vers l'Enfer.

- Extra ! Comment la porte est retenue ?

- Quelques chaises entassées.

- Mais les zombies ont assailli un mur gigantesque à Jérusalem...

- Ecoute, tu commences à me les briser, avec tes remarques. On n'est pas en train d'écrire une thèse, on veut juste que Brad arrive à traverser le bâtiment pour aller se planter une aiguille dans le bras. Et OUI, il faudra qu'un des personnages soit muni d'une batte de base-ball, même si j'imagine qu'en vrai il n'y a pas de battes de base-ball dans un labo de l'OMS.

- A fortiori, au Pays de Galles...

- A fortiori, au Pays de Galles. (Un temps) On en était où ? Ah oui, Brad s'est séparé de ses collègues, et il se dirige vers la chambre froide où se trouve le typhus. Il nous faut un enjeu là, ça ne peut être aussi simple. UN CODE ! Il faut un code ! Pour rentrer dans la pièce

- Personne ne l'a prévenu, quand ils ont préparé l'opération ?

- Eh non, Einstein, mais ça tombe bien puisqu'il y a un téléphone juste en face. Et des caméras de surveillance qui marchent. La médecin n'a qu'à l'appeler, lui donner le code et hop, le tour est joué. Hmmm... Je suis d'accord, c'est pas trépidant. Il nous faut plus d'obstacles.

- Parti comme tu es, ça n'étonnera personne si Brad laisse sa hache dehors, une fois entré dans la pièce.

- Très bien ça ! Il laisse sa hache dehors, et un zombie la repère. Pendant ce temps-là, Brad farfouille. La caméra filme les autres scientifiques, qui eux, savent à quoi ressemblent les tubes contenant les maladies mortelles. Je vois bien un "pas le tiroir de gauche", histoire d'ajouter un peu de suspense.

- Les décorateurs ont déjà acheté le matos, il n'y a que des meubles à tiroirs verticaux.

- Un détail, Drew, il suffira de cadrer le plan de travers. Brad choisit le bon tube, il s'inocule le typhus comme prévu, on oublie que la période d'incubation est de deux semaines et il s'en sort, ni vu ni connu. End of the story.

- Alright...

- MERDE ! On a oublié le placement de produit Pepsi. Mettons-le à la fin de la scène. Petite pause avant de repartir au charbon.

(A ce moment, Damien sort de sa torpeur)

- Attends, j'ai pas suivi... Il a des pennies dans sa poche, Brad ?

 

 * Fictive, bien entendu.

Crédit photo : Paramount Pictures.

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu