Plus de 500 millions de dollars récoltés dans le monde, en quelques jours. Le Man of Steel de Zack Snyder (réalisateur de 300, Watchmen, Sucker Punch...) pulvérise les statistiques de Superman Returns en 2006 (qui a terminé sa course avec un box office mondial de 391 millions de dollars).
Dans cette nouvelle adaptation du personnage de DC Comics, Kal-El (alias Clark Kent, alias Superman, joué par Henry Cavill), est expulsé de Krypton dans une capsule, peu après sa naissance. Krypton est à ce moment menacée par le général Zod (Michael Shannon), mais celui-ci finit par retrouver Kal-El et sa précieuse Kryptonite sur Terre, circa 2013. Superman, devenu un beau bébé barbu de 100kg, a pour tâche de le combattre pour sauver l'Humanité...
La nouvelle mouture, plus stylisée, moderne et violente que les précédentes, suscite des commentaires de toutes sortes. Parmi eux, une comparaison surprenante. Superman serait la réincarnation de Jésus Christ, ou en tout cas une figure christique. Farfelu ?
Homme barbu, 33 ans...
L'homme d'acier made in Zack Snyder n'a plus grand chose à voir physiquement avec le personnage du comics, ni Christopher Reeve, ni Dean Cain, ni encore moins Brandon Routh. Pour renouveler la franchise, les scénaristes David S. Goyer et Christopher Nolan ont relooké le bonhomme : pilosité sur le visage, abandon de la mèche qui pendouille, costume sombre sans slip rouge... Certains voient dans ce renouveau un massacre, d'autre un coup de génie. Surtout, Superman précise au FBI qu'il est sur Terre depuis 33 ans. De quoi conduire à l'analogie Superman = Jésus, bien résumée dans cet article de Metro -teinté d'ironie.
Les arguments pro-analogie sont nombreux. En plus de l'âge et de la barbe, le Superman de Man of Steel se donne pour vocation de sauver l'humanité entière, et pas seulement la ville de Metropolis, comme c'est le cas dans le comics. Par ailleurs, même s'il n'est pas immortel, Superman a deux personnalités : moitié homme (Clark Kent) et moitié surhomme (une fois la cape les collants enfilés). Sa sexualité dormante, qualifiée de "percevalisme" par Umberto Eco, dans sa géniale analyse du Mythe de Superman, prolonge encore le trait.
Marketing religieux
La presse chrétienne s'est fait l'écho de telles spécificités. Selon le Catholic World Report, Man of Steel "feels like Jesus" ("on a vraiment l'impression que c'est lui"). "Il comprend aussi bien les forces cosmiques que les besoins de ses proches. Il n'a jamais péché et néanmoins, il sait ce que signifie le péché. Sa bienveillance et son sacrifice étaient le fruit de son devoir, mais aussi profondément une marque d'amour". Le précédent film s'engageait déjà sur cette voie christique, quoi plus discrètement.
Superman Returns (2006). Il ne manque plus que la croix et les clous.
Deborah Snyder, la femme du réalisateur et productrice du film, a accordé une interview au Christian Post dans laquelle elle explique que son mari, Zach Snyder, "a retravaillé le script pour mieux faire ressortir les thèmes du sacrifice, de la bonté, de la famille", thèmes chrétiens s'il en est. A ce moment, précise-t-elle, leur vie privée faisait écho à l'histoire de Superman. "Nous étions en train d'adopter nos deux enfants. Et Superman, c'est la plus belle histoire d'adoption qui soit ! Il adopte la Terre entière". Aux yeux de l'Eglise, en effet, nous sommes tous frères et sœurs. Pas besoin de connaître son prochain pour lui venir en aide, même (surtout) lorsqu'on vient du Ciel...
Il n'en fallait pas plus pour que les studios Warner Bros. en fassent un argument de vente. Aux Etats-Unis, une partie du marketing a directement visé les chrétiens. "La Warner a invité des prêtres à des avant-premières et créé des bande-annonces spéciales, centrées sur les questions de foi", indiquait CNN le 14 juin. "Le studio a même demandé à un théologien de diffuser auprès des pasteurs un sermon intitulé : 'Jésus, le premier superhéros'". Les créateurs de Superman, Jerry Siegel et Joe Shuster, d'origine juive, ne sont malheureusement plus en vie pour répondre à une telle extrapolation.
Figures plurielles
En leur absence, nous commenterons prudemment toutes ces déclarations. Mais tout de même... Primo, l'arrivée de Superman sur Terre, conservée dans Man of Steel, ressemble plus à celle de Moïse-qui-flotte-dans-un-panier-sur-le-Nil que de Jésus. Par ailleurs, et c'est plus important, la dynamique de la croyance est inversée dans le cas du superhéros. Tandis que Superman s'efforce de cacher qu'il est tout-puissant, pour que les humains n'aient pas à se poser trop de questions existentielles, Jésus peine à se faire accepter comme le Messie, ce qu'il assume à 100%.
La fin de Man of Steel laisse peu de place au doute. Le recours à la violence, dans la lignée pragmatique "la fin justifie les moyens", n'a rien de chrétien. Certes, nous parlons d'un blockbuster, mais ce n'est pas anecdotique. En un sens, Jésus a laissé aux hommes le choix de se sauver eux-mêmes, à travers lui. Son sacrifice n'altère rien. Face au Mal, Superman donne de sa personne, au point (est-ce parce qu'il n'est pas immortel ?) de commettre un crime. "Si Jésus avait suivi la même voie que Superman, il serait descendu de sa croix, aurait mis à mort des milliers de juifs et laissé Jérusalem en cendres", raille America Blog. Quand Man of Steel tue, Jésus tend l'autre joue et pardonne. La différence est de taille.
Ce n'est évidemment pas la première fois que Jésus sert d'alibi. Avant Man of Steel, les œuvres E.T. (Steven Spielberg) et L'Idiot (Fiodor Dostoïevski), pour ne citer qu'elles, y avaient déjà eu recours. Qu'en conclure ? Le romancier allemand Hermann Hesse livre son interprétation. "Quand une association est faite avec l'image de Jésus, (...) ce qui vient en premier à mon esprit ce n'est pas Jésus sur la croix, ni Jésus parmi les bêtes sauvages, ni Jésus le faiseur de miracles, ni Jésus ressuscité, mais simplement Jésus dans le jardin de Gethsémani, goûtant à la solitude une dernière fois." Autrement dit, l'interprétation que l'on fait de Jésus Christ tient plus à notre expérience de foi qu'aux faits décrits dans Le Nouveau Testament. Il existe autant de Jésus Christ que de croyants, et autant de Superman que de lecteurs. Quoi qu'en dise la Warner, dans mon cerveau, les deux figures ne se recoupent pas.