Comédie française (très) indépendante, La Fille du 14 juillet, premier long-métrage d'Antonio Peretjatko, raconte l'histoire délirante de jeunes adultes paumés qui décident de partir en vacances dans le Sud. Leur objectif à plus ou moins long terme : échapper à l'ennui et à la crise économique -ou à la police pour le plus intrépide d'entre eux, un faux médecin interprété par le génial Vincent Macaigne.
Ce road trip joyeux se déroule dans une temporalité difficilement identifiable, entre le quinquennat de François Hollande et Mai 68. Les voitures, par exemple, sont toutes de vieux modèles, mais des images d'archives nous montrent Sarkozy et Hollande lors du traditionnel défilé militaire. L'aspect vintage du film dépasse les simples décors, la narration emprunte beaucoup aux tics cinématographiques de la Nouvelle Vague. Au point, on le regrette, de se noyer un peu sous cette esthétique passéiste.
Diluer le pastiche
(pardon pour le jeu de mots)
Il serait intéressant de faire la liste des clins d'œils que La Fille du 14 juillet adresse aux films des années 60/70. Si l'humour potache rappelle certains films populaires, les références les plus appuyées lorgnent vers la Nouvelle Vague, et notamment les œuvres de jeunesse de Jean-Luc Godard. Comme dans A Bout de souffle, le héros est en cavale, on bat le pavé pour distribuer des journaux/gadgets et les hommes meurent abattus en pleine rue. Comme dans Bande à part, les personnages vivent en groupe, dansent et s'amusent au musée. Comme dans Le Mépris, la voix off se traîne et les diapos se regardent solennellement. Comme dans La Chinoise, il souffle un vent de Révolution. Et comme dans [insérez le Godard de votre choix], il y a un visage de jolie brune obsédant, celui de Vimala "Anna Karina" Pons.
"Jamais pendant le tournage on ne s’est dit 'on va faire tel plan parce que dans tel film il y a eu ça'", explique Antonio Peretjatko à Mediapart, même s'il assume le fait que le film soit "complètement nourri d’une cinéphilie. Les fermetures à l’iris ou les flashbacks sont des choses qu’on ne fait presque plus aujourd’hui." Est-ce l'accumulation des références, sans relâche, qui finit par peser ? Ou le ton comique qui jure quelque peu avec la parenté Nouvelle Vague ? Quoi qu'il en soit, de l'intention cinéphile à la réalisation finale, il y a comme une gêne. On aimerait rire de bon cœur devant cette bande de doux déglingués privés de Surmoi. Trop souvent, les séquences nous ramènent à une expérience ou un imaginaire qui nous font sortir de l'histoire. Le pastiche n'est pas assez dilué.
Le film lui-même semble conscient de ce léger travers. Lors d'une soirée chez le docteur Placenta (Serge Trinquecoste), en présence de Pator (Vincent Macaigne) et de ses amis, les deux hommes ont une conversation sur (si ma mémoire est bonne) une musique, qui serait la copie d'un morceau précédent. Comment être sûr de retrouver l'œuvre originale ? Toute création n'est-elle pas au fond, re-création d'éléments préexistants ? Cette question vieille comme l'art peut aussi s'appliquer à nos vies, renchérit le médecin fou. Après tout, nous sommes peut-être tous des brouillons ou des copies. Et personne n'aura jamais la preuve formelle du contraire.
Vent de fraîcheur
Je ne peux m'empêcher de penser que le même film délesté de ses innombrables références gagnerait en énergie et en humour. Car son scénario bordélique, ses trouvailles visuelles et ses dialogues en roue libre font réellement souffler un vent de fraîcheur sur la comédie française, plombée par des superproductions indigestes comme Les Seigneurs ou Un Plan parfait. J'aime particulièrement le travail sur le langage. Les noms des gens sont chouettes (Pator, Hector, Truquette -truc au féminin), l'étudiant relou a des expressions ringardes géniales ("Tu déboules de la planète Mars ou quoi ?"), certaines phrases font du sur-place, comme les personnages au début de l'aventure ("On est au café, on boit des cafés"), à d'autres moment on aime simplement jouer sur les sonorités ("Le docteur Placenta s'est absenté")...
(en vrai, Vincent Macaigne ne sait pas conduire)
L'humour se révèle parfois plus féroce. Enfin arrivés sur le bord de mer, mais en deux groupes, les jeunes gens tentent de retrouver leur unité. A l'arrière plan d'une scène, on aperçoit deux vacanciers se tourner autour. La fille : "Je n'ai pas encore eu d'amourette cette été. On s'embrasse ?" Le garçon s'exécute sans ciller. Ces quelques mots suffisent à rappeler à quel point nos comportements sont dictés par des normes absurdes. L'été, il faut avoir un amour de vacances. C'est comme ça. A l'école, il faut lire La Métamorphose de Kafka, mais il faut aussi traiter les enfants comme des idiots, alors on les habille en cloporte pour qu'ils s'approprient le livre (merveilleux moment où l'enfant du médecin devient hystérique). Ingénieux ! Bref, on croise les doigts pour que le prochain long-métrage d'Antonio Peretjatko s'émancipe de la tutelle 60's et parte en quête d'une narration plus singulière, tout comme Hector finit par retrouver cette fille énigmatique, rencontrée un 14 juillet.
Crédits photo : Shellac Distribution