"The Bling Ring" : l'insoutenable légèreté de Sofia Coppola

Des maisons d'architecte désespérément blanches et géométriques, des Porsche qui ronronnent sous les palmiers, des Louboutin à perte de vue... Le nouveau long-métrage de Sofia Coppola, The Bling Ring, se déroule dans un cadre californien proche de son dernier film, Somewhere. Il y est une nouvelle fois question de gens riches qui s'ennuient, mais The Bling Ring se montre plus vif et subversif, puisque les adolescents filmés, Emma Watson en tête, s'introduisent dans les demeures de célébrités pour y voler sacs, montres et autre chaussures hors de prix.

Comme les lectrices de magazines féminins, dont je fais partie, Sofia Coppola semble avoir un rapport ambivalent à la "culture du paraître" : elle aimerait ne pas être fascinée par les objets de luxe qui s'offrent à elle, mais ne peut s'empêcher de les filmer avec une certaine gourmandise. Cette ambiguïté est malheureusement doublée, chez elle, d'une confusion entre les deux sens du mot "vanité" qui finit par exclure le spectateur. Explications.

La stratégie du name-dropping

Le générique de The Bling Ring annonce la couleur. Dès les premières images, on voit s'empiler des sacs Vuitton, des colliers scintillants griffés "rich bitch" ou encore un logo Chanel aussi gros que le nom du film. Chaque intrusion chez une célébrité donne lieu à une énumération de marques de luxe : Chanel, Prada, Hervé Léger, Louboutin, Balmain, Rolex, etc. Des inventaires dont Sofia Coppola ne pouvait se passer, dans la mesure où ses héros enfilent des marques avant d'enfiler des vêtements.

Bling Ring, The

Problème, la réalisatrice fait du name-dropping un exercice de distinction, non pas entre les jeunes du "gang" (ils possèdent tous les mêmes codes), mais entre eux/elle et nous. Une scène au début du film le montre bien. Rebbeca (formidable Katie Chang) lit un magazine avec son nouvel ami Marc (Israel Broussard). A la vue d'un produit qui lui plait, elle s'exclame : "C'est du Prada ?" Marc lui répond : "Non, Miu Miu". Elle sourit. Pourquoi ? Miu Miu est la ligne bis de Prada, ce qui signifie que la jeune fille a reconnu la "patte" de la marque italienne et s'en félicite. Seuls les modeux auront compris ce clin d'œil. Tant pis pour les autres, vous n'aviez qu'à lire Vogue !

Vanité, vantardise ?

Icone de mode et cinéaste à succès, Sofia Coppola pourrait être une des célébrités visées par ces jeunes, bien qu'elle revendique ne pas aimer le style bling bling. Juge et partie, la réalisatrice peine à trouver le ton juste, ce qui est compréhensible. Ce qui l'est moins, c'est qu'elle rappelle au public où elle se situe socialement, par rapport à ses personnages.

Je pense notamment à une scène. Nos apprentis Arsène Lupin sont en boîte de nuit, se prennent en photo façon "myspace angle" et se taguent sur Facebook illico. Soudain, une apparition : Kirsten Dunst. L'un d'entre eux le remarque à haute voix, gorgé d'admiration. Kirsten Dunst ! La Marie-Antoinette de Sofia Coppola ! L'héroïne tragique de Virgin Suicides ! Quelle coïncidence... De deux choses l'une : soit la cinéaste a besoin de se rassurer sur son propre statut (ce qui parait peu probable), soit elle fait preuve d'une vanité déconcertante. Dans les deux cas, cette autocitation est inutile (et Tywin Lannister est de mon avis).

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Pyramide sociale

Il est faux de dire que The Bling Ring est un film superficiel sur la superficialité, comme j'ai pu le lire ici ou là. C'est -à son insu- un film éminemment politique. Il existe des rapports de force, une hiérarchie au sein de tout ce beau monde, et Sofia Coppola en a tout à fait conscience. Le héros auquel nous sommes invités à nous identifier, Marc, est le moins riche d'entre tous. Sa mère s'habille mal, sa chambre est petite, ses habits font un peu pitié. Sa meilleure copine, Rebecca, la plus intrépide d'entre tous, vit dans une demeure chic, tout comme Nicki (Emma Watson). En haut de la pyramide, les stars à détrousser : Paris Hilton, Lindsay Lohan, Miranda Kerr, etc.

Premiere of A24's "The Bling Ring" - Arrivals

Toute la question est de savoir comment grimper en haut de la pyramide. Plutôt que de travailler dur, nos cinq louveteaux jugent suffisant d'enfiler le costume de celles et ceux dont ils aimeraient embrasser le style de vie. Ils sont d'ailleurs bien contents d'apprendre que Mischa Barton a été arrêtée pour conduite en état d'ivresse ou que Lindsay Lohan est accusée d'avoir volé pour 25 000 dollars de bijoux. Non seulement ils ressemblent à leurs idoles, grâce à l'argent amassé au cours des cambriolages, mais l'inverse est parfois vrai aussi. En apparence, du moins.

Le degré zéro de la lutte des classes

Derrière les apparences, la réalité est toute autre. Dans la plus jolie scène du film, la caméra filme presque fixement une maison, de loin, dans la pénombre. Eclatante villa, joyau dans la nuit. On perçoit deux silhouettes s'introduire à l'intérieur, à la faveur d'une fenêtre mal fermée, puis dévaliser les lieux et repartir les bras pleins, quelques minutes plus tard. La métaphore est bien trouvée. Cette forteresse, à la fois lieu de pèlerinage bling bling et coffre-fort, nous aimerions tous y vivre. Seulement, pour y vivre, il faut devenir des hors-la-loi.

Dans The Bling Ring, jamais les cadenas ne sautent, jamais les alarmes ne retentissent, jamais les stars ne sont menacées. A la fin, tout revient heureusement dans l'ordre. Les riches obtiennent compensation et les pauvres ont cessé de vouloir les déposséder. Pire, seul le personnage modeste, Marc, est filmé en prison, comme s'il y retrouvait ses congénères naturels. Les siens. The Bling Ring, c'est le degré zéro de la lutte des classes. Pas un film vain, pas un film neutre, mais un film complaisant où les inégalités sociales constituent un anecdotique décor de carte postale.

Crédits photo : AFP

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu