Il a beau être présenté comme un hommage aux "westerns spaghetti", le nouveau film de Quentin Tarantino n'est pas si léger. Du moins, pas aux yeux tout le monde. Aux Etats-Unis, plusieurs membres du showbiz et de la communauté noire se sont érigés contre ce qu'ils considèrent comme un film au mieux irrespectueux, au pire raciste. Pour rappel, Django Unchained raconte l'histoire de Django (Jamie Foxx), esclave affranchi qui part à la recherche de sa femme, trois ans avant la guerre de Sécession, soit à un moment de l'Histoire où l'esclavage était encore légalisé.
Comme si une polémique ne suffisait pas, la question raciale a également été lancée par le "camp adverse", si l'on peut dire. Plusieurs personnes ont publiquement affirmé que l'œuvre n'était pas raciste anti-Noirs, mais plutôt anti-Blancs. Pourquoi toute cette agitation ?
La charge du réalisateur Spike Lee
La critique la plus virulente à l'encontre de Django Unchained a été émise par le cinéaste Spike Lee, auteur notamment de Do The Right Thing, Malcom X et Inside Man. Ce défenseur de "la cause noire" reproche à Tarantino d'avoir fait de l'esclavage un vulgaire prétexte au film, dans une interview à Vibe : "Je ne peux pas parler de Django Unchained parce que je n'irai pas le voir au cinéma. Tout ce que je peux dire, c'est que ce film manque de respect à mes ancêtres. Mais je ne parle que de mon point de vue, je ne suis le porte-parole de personne". Une citation pleine de précaution, ce qui n'est pas tout à fait le cas de ce tweet datant du 22 décembre, où il compare l'esclavage à un holocauste.
American Slavery Was Not A Sergio Leone Spaghetti Western.It Was A Holocaust.My Ancestors Are Slaves.Stolen From Africa.I Will Honor Them.
— Spike Lee (@SpikeLee) December 22, 2012
En fouillant dans les archives du web, on retrouve des propos similaires tenus il y a quinze ans par le même Lee à l'encontre du même Tarantino, au sujet de Jackie Brown. "Le terme 'nigger' (négro) est utilisé 38 fois dans le film", expliquait Variety. Un mot que Spike Lee trouvait employé de façon gratuite, selon des propos relatés par The Hollywood Reporter. "Je ne dis pas qu'on n'a pas le droit de l'utiliser. J'ai utilisé ce mot de nombreuses fois dans mes films, mais je pense que Tarantino a un vrai problème avec lui".
La riposte de Quentin Tarantino
Evidemment, de telles accusations ne sont pas restées lettres mortes. Tarantino y a répondu quelques jours plus tard. "On voudrait que je passe le mot 'nigger' sous silence, que je le noie, que ce soit plus facile à digérer. Non, je ne veux pas que ce soit facile à digérer. Je veux que ce soit comme un immense rocher à avaler sans eau", rapporte AceShowbiz, citant l'auteur de Pulp Fiction et Kill Bill.
Comme pour dissiper les doutes, Leonardo DiCaprio a lui aussi tenu à rappeler les méfaits du racisme et de l'esclavage. Dans le film, l'acteur joue le rôle du propriétaire de plantation raciste qui détient la femme de Django. Un personnage odieux et outrageusement raciste. "Je ne pouvais m'identifier à rien du tout, dans ce personnage. Je le détestais, relate Celebuzz. C'était l'un des personnages les plus narcissiques et racistes auxquels j'aie jamais été confronté (...) Quand j'ai lu le scénario, je suis devenu très enthousiaste. On devrait regarder cette question en face plus souvent, et ne pas la cacher".
Des Blancs conservateurs jettent de l'huile sur le feu
Ce que l'on sait un peu moins, en France, et qui mérite d'être relevé, c'est qu'une polémique a également été lancée par des Blancs, mais à l'envers. Début décembre, des propos tenus par Jamie Foxx dans l'émission "Saturday Night Live" ont fait peur à certains. Répétant à moult reprises "C'est pas être Noir, ça ?" ("How black is that ?"), il se félicite d'un rôle qui lui donne la possibilité de dézinguer plein de Blancs. "Je devais porter des chaînes, dans le film, mais ne vous inquiétez pas. Après, je me libère, je sauve ma femme, je tue tous les Blancs. C'est pas génial, ça ? Et c'est pas être Noir, ça ?" (lire l'intégralité sur NewsBusters).
De quoi faire sortir de leurs gonds quelques personnes, essentiellement dans les rangs des conservateurs. Une tribune du Washington Times se demande si Jamie Foxx n'est pas raciste, au fond, et dénonce en gros caractères "la montée du sectarisme Noir" aux Etats-Unis. La ligne de texte de Jamie Foxx sur le fait de "tuer des Blancs", citée aussi par le Daily Mail, consolide effectivement l'idée de complaisance vis-à-vis la violence dans le film. Est-elle pour autant une "menace anti-Blancs" ?
Tarantino, défenseur des minorités ?
N'ayant pas vu le film, je me garderais bien d'émettre une opinion personnelle. Mais cette polémique à deux face en dit long sur la difficulté de traiter, à Hollywood, d'un sujet aussi sensible que l'esclavage ou les rapports entre communautés autrement que par le consensus. Lincoln, qui sortira en France fin janvier, aborde ainsi le thème de l'abolition de l'esclavage sous l'angle du combat politique. Sans surprise, le film a peu de détracteurs, outre-Atlantique.
Je n'ai pas envie de faire de Tarantino un cinéaste militant, mais force est de constater qu'il aime filmer des minorités ou des personnes faibles qui prennent leur revanche : les Noirs dans Django Unchained, les femmes enceintes dans Kill Bill, les juifs dans Inglorious Basterds, etc.
Par ailleurs, il est rare de voir au cinéma autant de couples mixtes Noirs-Blancs. "Il est le premier avec Abel Ferrara et son King of New York à avoir constitué un gang de tueurs composé d’un Noir et d’un Blanc œuvrant pour un parrain Noir pour Pulp Fiction, explique un professeur de cinéma sur Le Plus, c’est-à-dire en refusant le cliché cinématographique du syndicat du crime affilié à une unique communauté culturelle". En cela, Tarantino serait presque un idéaliste, qui plaide pour la conciliation des communautés plutôt que la défense des identités propres. Au risque de les froisser toutes les deux.
Crédits photo : Sipa / AFP