La bibliothèque de Luchini ? Cherchez "Dans la maison"...

Fabrice Luchini professeur de français : what else ? C'est le programme alléchant de Dans la maison, de François Ozon (avec Kristin Scott Thomas, le jeune Ernst Umhauer et Emmanuelle Seigner), sorti la semaine dernière. Luchini y campe un professeur de français séduit par le talent narratif d'un élève de seconde, qui rédige une dissertation-nouvelle sur la vie de famille d'un camarade de classe dont il est le coach en maths.

J'ai vu deux fois Luchini au théâtre. Un enchantement, malgré les postillons. A chaque fois, son amour -cérébral- des belles lettres semblait prendre le dessus sur son application à dire et incarner le texte. Au fil des conversations littéraires du long-métrage Dans la maison, j'ai retrouvé des références souvent brandies par Luchini sur scène ou les plateaux télé. Ses chouchous, les vrais maîtres du style, il les défend à la ville, comme à l'écran. En voilà quatre qu'il (ou Ozon) a malicieusement amenées avec lui dans le film.

Flaubert, un caricaturiste ?

Ce n'est sûrement pas un hasard : le nom du lycée où enseigne Germain, personnage joué par Fabrice Luchini, est Gustave Flaubert. D'une certaine façon, Flaubert est le grand inspirateur d'Ozon et le grand tourment de Germain, car il pose ces questions fondamentales : jusqu'où peut-on triturer ses personnages ? peut-on se montrer à la fois mesquin et tendre avec eux ? l'ironie tue-t-elle la fiction pure ? le lecteur peut-il vraiment être actif ? etc.

Luchini lit, au milieu du film, un passage de la nouvelle dans lequel l'élève entre, ridicule, dans la salle de classe. J'y ai vu le Charles ado dans l'incipit de Madame Bovary, livre qu'il met ostensiblement sous les yeux de son petit génie d'élève au cours d'une discussion. De fait, Luchini connaît Flaubert sur le bout des doigts, puisqu'il lit régulièrement des passages de ses romans au théâtre.

Lire : Luchini fait jouir son public en citant du Flaubert, sur Rue 89

La Fontaine, ce géant

"Le plus grand styliste c'est La Fontaine. C'est ça, et puis c'est tout. C'est final". Luchini aime citer cette phrase de Céline, qu'il a dégotée dans sa correspondance. La Fontaine, le maître du style, celui, dit-il, qui sait si bien entrechasser fond et forme, sans être jamais gratuit. Dans la maison, Germain compare un des lycéens à un roseau. Non pas celui de Pascal, le "roseau pensant", autre grand classique, mais celui de La Fontaine, qui plie mais ne rompt pas.

"Tout le sel de la chose est que mon personnage la dit très mal, cette fable, ou plutôt qu’il la dit normalement, raconte l'acteur dans une interview au Journal de Saône-et-Loire. Ozon ne tenait absolument pas à ce que je fasse ce que je fais sur scène : c’est mon personnage que je joue, pas Fabrice Luchini le comédien de théâtre". Le fabuliste a vu ses œuvres récitées maintes fois sur scène par Luchini, qui a même fait un CD de lectures de fables. En voici un extrait.

Défait par Céline

Louis-Fernand, cité plus haut, disait dans la même lettre : "Je m'intéresse très peu aux hommes, à leur opinion, et puis même pas du tout. C'est leur trognon qui m'intéresse (...) L'homme en soi, presque toujours le contraire de ce qu'il raconte". Eloge inconditionnel du style, par un Céline adoré de Luchini, précisément pour cette raison. Ne jamais croire ce que disent les personnes, pas plus que les personnages...

Le film d'Ozon fait un petit clin d'œil à cette passion de Luchini pas du tout secrète, pour un écrivain dont les opinions politiques assez peu défendables ont fait couler beaucoup d'encre ces dernières années. A la fin du film, Germain est en effet littéralement assommé par sa femme avec Le Voyage au bout de la nuit. Une métaphore de la vie de Luchini ? En tout cas j'ai bien ri.

Le fantôme de Muray

Moins connu des élèves de seconde, Philippe Muray, également lu au théâtre par Luchini. Cet essayiste et romancier est parfois classé parmi les penseurs réacs. A tort ou à raison, peu importe, mais il incarne ce même attachement sérieux et détaché à la fois pour le style, forme vivante par excellence. Sans le citer dans le film, Luchini développe Dans la maison une forme de détestation, peut-être excessive, pour l'art contemporain et de manière générale les formes d'amusement superficielles ou pompeuses.

Je me souviens de cette émission, qu'un ami m'avait recommandée. Luchini et Finkielkraut discutent, textes de Muray à l'appui, de cette post-modernité asphyxiante. On a l'impression, en écoutant leurs aboiements plantifs, d'être dans la tête du pauvre Germain, qui méprise au plus haut point les catalogues d'expositions d'art abstrait, présentés comme la mort annoncée du langage. Si vous avez une heure devant vous, ça vaut le coup d'écouter.

Publié par Ariane Nicolas / Catégories : Actu