L'extrême gauche trotskiste a disparu des radars de la présidentielle

(Léon Trotski © Maxppp)

Mais où est donc passée l'extrême gauche ? Installé en France depuis le début des années 1930, le trotskisme a toujours oscillé entre la clandestiné et la légalité. De leur combat originel contre le stalinisme, les disciples de Trotski ont conservé un goût du secret. Et de leurs rivalités idéologiques picrocholines, une indéniable appétence pour les scissions. Adeptes de "l'entrisme" - adhésion masquée dans les partis de gauche -, les trotskistes sont apparus au grand public il y a près d'un demi-siècle. En 1969.

Cette année là, le visage du trotskisme, c'est celui d'Alain Krivine. Rejeton d'une famille juive d'Ukraine qui a fui les pogroms à la fin du 19e siècle, caché pendant la guerre (il est né en 1941), ce "révolutionnaire" est diplômé en histoire, son frère jumeau est physicien et le chef d'orchestre Emmanuel Krivine, son cousin. Candidat de la Ligue communiste à l'élection présidentielle de 1969, il rassemble près de 240.000 voix, soit 1,06% des suffrages exprimés. Le PCF avec Jacques Duclos fait alors plus de 21% et la SFIO (ancêtre du PS) avec Gaston Defferre... à peine plus de 5%.

Si Krivine est encore candidat, cinq ans plus tard après la mort du président de la République, Georges Pompidou, le trotskisme prend un autre visage : celui d'une jeune femme. Arlette Laguiller, née en 1940, est la première femme à se présenter à une élection présidentielle en France. Figure de proue de Lutte ouvrière (LO), une autre "chapelle" du trotskisme dont les militants sont des "moines-soldats", elle obtient près de 600.000 voix (2,33%) et elle fait beaucoup mieux que son "camarade" et rival, Krivine, qui est en recul avec 93.990 suffrages (0,37%).

"Arlette", première femme candidate... et six fois de suite

Pionnière en 1974, "Arlette" est également la championne des candidatures à l'Elysée. Aucun autre prétendant, homme ou femme, n'a réalisé le même exploit : six élections présidentielles au compteur (1974, 1981, 1988, 1995, 2002 et 2007). Employée et militante syndicale dans un grand établissement bancaire français, représentante des "travailleuses, travailleurs, amis et camarades", elle porte l'étendard politique des "luttes sociales" d'extrême gauche pendant plus de trois décennies. Elle est déléguée à cette tâche alors même que LO ne croit pas à la conquête du pouvoir par les urnes.

Qu'à cela ne tienne, Laguiller est donc à nouveau sur le pont présidentiel en 1981 et 1988 (avec une présence électorale sensiblement identique à celle de 1974) pour assister à l'arrivée et à la confirmation de la gauche au pouvoir avec François Mitterrand. Elle connaît sa première gloire électorale lors du scrutin de 1995, en franchissant la barre fatidique des 5% des voix (5,30% et plus de 1,6 million de suffrages). A la sortie de 14 années de mitterrandisme alors que le PCF est en déclin et le communisme international en déroute (Le Mur de Berlin est tombé en 1989 et l'Union soviétique a commencé à se disloquer l'année suivante), l'extrême gauche est en pleine forme.

Elle atteint son apogée en 2002, lors de cette présidentielle tragique pour les socialistes qui voit le premier ministre, Lionel Jospin, éliminé au premier tour car devancé par Jean-Marie Le Pen. Le chef de file de l'extrême droite, on s'en souvient, est balayé au second tour par Jacques Chirac (82,21% contre 17,79%) mais sa qualification pour la finale suscite une émotion énorme dans le pays. Et l'autre bout de l'échiquier, l'extrême gauche, dans toutes ses composantes, réunie sous sa bannière... plus de 10% des suffrages !

Toutes ses composantes ? Eh oui, car la France est le seul pays au monde à se payer le luxe d'avoir donné vie à trois rameaux à l'idéologie et aux écrits du père fondateur de "la révolution permanente". A côté de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) rebaptisée Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et de Lutte ouvrière (LO), en effet, il existe une troisième famille trotskiste, les lambertistes du nom - ou plutôt du pseudonyme - de son fondateur aujourd'hui décédé, Pierre Lambert, qui est l'alias de Pierre Boussel. Recordman des scissions et des excommunications, organisation surnommée, par ses anciens membres, "la maison des fous", le lambertisme s'est "relooké" sous une multitude de sigles au fil des années : OCI, PCI, MPPT, PT et aujourd'hui POI pour Parti ouvrier indépendant... ce qui n'est pas le moindre des paradoxes pour une organisation qui se veut internationaliste.

L'apogée trotskiste de 1995-2002 est un vieux souvenir

En 2002 donc, Laguiller tient la corde avec plus de 1,6 million de voix encore (5,72%) devant Olivier Besancenot du NPA (plus de 1,2 million et 4,25%) et le lambertiste Daniel Gluckstein (132.686 voix et 0,47%). Cette séquence 1995-2002 est bienheureuse pour la LCR et LO qui, réunies en 1999, envoient Laguiller et Krivine au Parlement de Strasbourg : les deux leaders trotskistes sont élus députés européens avec trois autres de leurs "camarades". Un vrai triomphe mais une parenthèse qui n'aura aucune suite dans toutes les élections européennes suivantes.

Rebelote en 2007 avec trois candidats à nouveau (Laguiller, Besancenot et Gérard Schivardi) mais la décrue politique est au rendez-vous avec moins de 6% des voix. Le résultat est encore pire en 2012 : les deux candidats présents - Nathalie Arthaud (LO) et Philippe Poutou (NPA) - rassemblent moins de 2% des bulletins. Et les sondages pour 2017 ne décèlent pas de redressement puisque les deux mêmes représentants du trotskisme sont crédités de 0,5% à 1% des voix, chacun.

Audible à la charnière des 20e et 21e siècles, l'extrême gauche semble avoir désertée les urnes ou avoir été absorbée par "la gauche de la gauche". Aujourd'hui, tout donne à penser que le flambeau du "rêve révolutionnaire" a été repris par Jean-Luc Mélenchon qui, lui-même, fit un passage... chez les lambertistes ! Flambeau repris en partie. Une position qui lui permet d'attirer aussi à lui une fraction de l'aile gauche de l'électorat de Benoît Hamon. En partie seulement car l'extrême gauche militante, dont une frange utilise la violence, se cantonne dans les luttes sociales ou sociétales. En se détournant obstinément des urnes. Goodbye Trotski !

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu