L'été meurtrier des Le Pen, père, fille et nièce

Florian Philippot, vice- président du FN, et Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du parti, le 22 avril 2014. (ZAER BELKALAI / AFP)

Et de trois ! En l'espace d'un mois, Jean-Marie Le Pen a remporté trois victoires judiciaires contre sa fille. En appel, le 28 juillet, la cour de Versailles a confirmé la décision, prise en référé, le 8 juillet, par le tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), de suspendre le "congrès postal" du Front national. Le 2 juillet, déjà, la justice avait rétabli Le Pen père dans ses "droits attachés à sa qualité d'adhérent" du parti d'extrême droite, après qu'il en eut été dépossédé par les instances dirigeantes. Cette décision là est aussi frappée d'appel par l'équipe de Marine Le Pen.

L'assemblée générale expéditive des adhérents du FN - ils devaient se prononcer par voie postale sur la modification des statuts du parti - avait essentiellement pour but de faire disparaître de ce texte la fonction de "président d'honneur" à vie. Le co-fondateur du Front avait pris soin de l'y faire inclure avant de passer à sa fille les rênes de la formation qu'il avait dirigée, sans partage, pendant 40 ans, c'est-à-dire depuis sa fondation en 1972.

Le "Menhir" - surnom donné à Le Pen père dans les rangs du Front - avait manifesté ainsi sa volonté de garder une main sur la direction d'un parti qu'il considère comme "sa chose". Avec le recul, on peut imaginer, sans crainte d'erreur, qu'il avait une confiance politique toute relative dans ses successeurs à la tête du Front national. Il s'agissait de sa fille Marine, probablement, mais surtout du bras droit de cette dernière, Florian Philippot, qui incarne tout ce qu'exècre le vieux chef de l'extrême droite française.

Services sercrets et abus de vodka

Entre les deux hommes, c'est peu dire que le courant ne passe pas. Sur tous les plans. Philippot, qui a pris un ascendant politique certain sur la présidente du FN, rêve matin, midi et soir, de façon obsessionnelle, d'arriver aux manettes de l'Etat alors que Le Pen père a toujours fait en sorte d'éviter d'y parvenir. Il préférait rester "le trublion" de la sphère politique sans avoir jamais à mettre les mains dans le cambouis du pouvoir. Sans doute subodorait-il qu'il est plus facile de déclamer que de diriger !

Le feu qui couvait ostensiblement depuis un bon moment entre le président d'honneur et le vice-président s'est déclaré, de façon brutale, après la tuerie terroriste de "Charlie Hebdo", en janvier. Jamais en retard d'une explication complotiste, Le Pen père y avait vu, dans un média russe, l'action des "services secrets", avant de mettre cette interprétation sur le dos d'une mauvaise traduction. Philippot avait mis cette sortie sur le compte d'un abus de vodka... Le feuilleton avait rebondi, en mai, quand le premier s'en était pris à l'orientation sexuelle du second, en l'accusant de vouloir placer ses "mignons".

Entre temps, pour compléter le tableau, Le Pen père, fidèle à ses provocations antisémites, avait remis sur la table les chambres à gaz, "point de détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale". Depuis 1987, il ressort régulièrement cette abjection qui lui a déjà valu d'être condamné à plusieurs reprises pour contestation de crimes contre l'humanité. Cette fois-ci, encore, les pouvoirs publics ont engagé une action en justice contre lui et, une fois encore, cette banalisation de l'extermination des juifs à l'échelle industrielle sera certainement condamnée.

La seringue et le fusible

Complotisme, homophobie, variations antisémites : on retrouve là quelques invariants de l'extrême droite. Le Front national façon Jean-Marie Le Pen ne peut décidément pas sortir de ce tryptique de base qui a longtemps fait son fond de commerce. Sans remettre le moins du monde en cause le programme du parti, le duo Marine Le Pen-Philippot tente de se défaire de ces oripeaux dont ils savent pertinemment qu'ils les empêcheront d'accéder au pouvoir. Les victoires judiciaires du "Menhir" ne leur facilitent pas la tâche.

Bien au contraire, elles renforcent le président d'honneur du parti qui peut se présenter en victime aux yeux des militants et resserrer les rangs des historiques autour de lui dans son combat contre ce qu'il considère être une dérive du Front national. Comme on pouvait s'y attendre, Bruno Gollnisch, fidèle du père et adversaire malheureux de la fille pour la présidence du parti, a manifesté sa "satisfaction" face à cette saga judiciaire. Dans le même temps, Marion, la nièce, faisait part de sa "honte". En attendant, la guerre des médias d'extrême droite entre eux a déjà commencé.

Sauf à voir émerger un rabibochage qui signerait une défaite politique de sa fille et condamnerait le parti à rester aux portes de la vie républicaine, Le Pen père va continuer à user de son pouvoir de nuisance. La prochaine étape serait, logiquement, la présentation de listes dissidentes aux régionales de décembre. Incontestablement, la stratégie de rupture familiale inspirée par Philippot a placé Marine Le Pen dans une seringue. Le vice-président du FN en fera-t-il les frais, à plus ou moins longue échéance, en jouant le fusible ? D'autant que cette polarisation sur une querelle père-fille, tournant au ridicule, donne une piètre image d'une formation qui prétend accéder à la direction du pays.

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu