Les "gagnants" et les "perdants" français du feuilleton de la crise grecque

François Hollande et Manuel Valls à l'Elysée, le 12 janvier 2015. (PATRICK KOVARIK / AFP)

"C'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses". Cette expression paysannne et familière, connue pour avoir été popularisée par Jacques Chirac, va pouvoir être utilisée pour analyser les retombées, en France, du "règlement", sans doute provisoire, de la crise grecque.

D'ores et déjà, la gauche socialiste estime que François Hollande en sort gagnant. Selon elle, le président de la République est parvenu à maintenir la Grèce au sein de la zone euro face à des partenaires hostiles et il a fait en sorte de sauvegarder l'existence du "couple franco-allemand". Angela Merkel avait le même souci !

A l'opposé, la droite, l'extrême droite et la gauche de la gauche considèrent ensemble, avec des explications et des motisations contradictoires, que Hollande n'a rien sauvé du tout. Certains disent même qu'il s'est "couché" devant Merkel. Les uns dénoncent Tsipras qui aurait trahi les électeurs, d'autres, comme Eric Woerth, n'hésitent à soutenir que Nicolas Sarkozy n'est pas pour rien dans la conclusion de l'accord européen.

Le "bashing" obligé se substitue à l'analyse sereine

Dans un camps comme dans l'autre, les jugements à l'emporte-pièce prennent très largement le pas sur des analyses qui prendraient un tant soi peu de recul. Il s'agit essentiellement de postures. Les uns laissent supposer que le chef de l'Etat, seul, a sauvé l'Europe, les autres claironnent qu'il n'a pas eu de ligne dans cette affaire.

Comme toujours, les responsables politiques et les "communicants", parfois improvisés, qui leur emboîtent le pas font moins dans l'analyse honnête, le décryptage serein et la recension exhaustive des prises de position successives des acteurs et des spectateurs de l'événement que dans le "bashing" obligé sur les réseaux sociaux et la récitation de dogmes, cent fois répétés, sur les télévisions en continu.

Car, bien évidemment, les tenants et les aboutissants de la crise grecque ne sont pas aussi binaires que les parties en présence veulent bien le faire croire. Une telle affaire n'est jamais linéaire. C'est si vrai qu'il suffit pour s'en convaincre de suivre les déclarations changeantes de quelques responsables politiques pendant la dizaine des jours les plus aigus de la crise.

Slalom et gymkhana à droite et à l'extrême droite

Ainsi, Alain Juppé a d'abord plaidé - sans doute hâtivement - pour la "sortie, sans drame" de la Grèce de la zone euro après le référendum organisé - précipitamment - par Tsipras pour obtenir un soutien de l'opinion. Puis, il a reproché à Hollande d'avoir une attitude "désolante", en pointant les "inconséquences" du premier ministre grec, avant de saluer l'envoi à Bruxelles des "propositions" de ce même Tsipras et, enfin, de se réjouir "que nous puissions conserver la Grèce avec nous". Un slalom difficile à suivre.

Gymkhana ici, humour - involontaire - là. Fidèle de l'ancien président de la République dont il a été un des ministres, Eric Woerth n'a pas hésité à laisser entendre que si un accord avait été conclu entre la Grèce et les autres pays de la zone euro, c'était un peu grâce à... Sarkozy. Une observation pour le moins surprenante, ne s'appuyant sur aucun fait tangible connu, qui a valu des railleries en boucle à son auteur.

Les exemples de revirement ou d'invention ne viennent pas seulement de la droite. A l'extrême droite, Marine Le Pen est passée, au début de l'année, d'une obligation de remboursement de la dette grecque au nom d'un "devoir éthique" à une nécessité de restructuration (allègement) de ladite dette, en juillet. Quant à Florian Philippot, son bras droit, il n'a cessé d'appeler un "Grexit" de ses voeux à longueur d'antenne. Et bien cela n'a pas empêché, le "stratégiste économique" du parti d'assurer : "Comme le FN l’avait annoncé depuis plusieurs semaines, il n’y a pas eu de Grexit..."

"C'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens"

La gauche de la gauche n'est pas en reste sur ce terrain. Très critique à l'égard de Hollande, comme à son habitude, Jean-Luc Mélenchon a dénoncer sa molesse supposée, dans un premier temps, avant d'adoucir son "bashing" permanent au moment de la conclusion de l'accord - ce qui dans sa gestuelle devait être une sorte d'hommage non-dit -, puis de reprendre la canonade contre le chef de l'Etat. Une façon de revenir à ses fondamentaux ! A ses côtés, le PCF est passé de la compréhension au rejet.

A cette aune, chacun peut déterminer les "gagnants" et les "perdants" français de l'affaire grecque. "Gagnants" et "perdants" dans la vision des événements, dans la fermeté des positions et dans la clarté de l'analyse. De ce point de vue, il est délicat pour les oppositions, de droite et de gauche, de faire passer Hollande pour une girouette alors que, depuis le début, il n'a cessé de marteler un credo européen visant effectivement à "conserver la Grèce avec nous", en s'appuyant sur l'axe franco-allemand.

Et comme "c'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens", force est de constater que le vote du Parlement français sur l'accord européen - sans préjuger de sa réussite ou de son échec - donne une large victoire à ceux qui n'ont cessé de plaider en sa faveur. Ce sont 88% des députés et des sénateurs réunis qui ont approuvé la déclaration de Manuel Valls sur le sujet. Une manière de désigner, à contre-coeur pour certains, les "gagnants" et les "perdants".

Publié par Olivier Biffaud / Catégories : Actu