Réforme de la procédure pénale. Top action? Dans la concertation.

Nous sommes quelques uns, ici, et bien plus nombreux, ailleurs, à régulièrement demander à ce que la procédure pénale soit - enfin - réformée. Et ce par bien des aspects.

Peut-être que ces 7 et 8 novembre ont constitué la première pierre de cet édifice dont tout le monde, ou presque, s'accorde à dire qu'il est complexe. Non qu'il faille sombrer dans le sophisme allant jusqu'à dire que simplicité et justice ne riment pas. Mais l'on peut toujours se dire que nous sommes dans un système où la complexité des procédures complique sérieusement la tâche, au risque de créer des incidents que l'on pourrait éviter en prenant quelques mesures, tout en garantissant une bonne administration de la justice dans toutes ses composantes.

Aussi, sous l'égide de la Direction Générale de la Police Nationale, a eu lieu, la semaine dernière, la  "Journée de consultation de la Police Nationale sur l'Investigation". Trois thématiques et quelques propositions avaient déjà été dégagées par la DGPN:

  • Simplifier la procédure pénale
  • moderniser la procédure pénale
  • adapter les pouvoirs des OPJ, APJ et personnels scientifiques

L'idée étant que ces groupes puissent travailler ces propositions, mais aussi en ajouter.

En parallèle, les magistrats et autres fonctionnaires de la justice, sont, eux aussi consultés, sur des thématiques plus vastes:

  • simplification concernant les enquêtes
  • simplification concernant le jugement
  • simplifications transversales

Le principe est d'arriver à mettre en place un collège commun, et discuter de ce qui émergera de ces consultations, pour arriver à une liste de propositions pouvait faire partie d'un futur projet de loi sur la modernisation de la justice, qui serait voté au printemps prochain.

J'en reviens à cette consultation "police", pour préciser que, faisaient partie de ces groupes de travail, 33 policiers, répartis de la manière suivante:

Pour ce qui est de leur corps d'origine:

  • 7 policiers issus du corps de Conception et de Direction
  • 13 du corps de commandement
  • 13 du corps d'encadrement et d'application

En ce qui concerne les directions d'emploi:

  • 1 policier d'administration centrale, du ministère
  • 14 de la Direction Centrale de la Sécurité Publique (issus des DDSP de province)
  • 1 CRS
  • 1 policier de l'IGPN
  • 1 de la police technique et scientifique
  • 1 de la Police Aux Frontières
  • 6 de la Direction Centrale de la Police Judiciaire
  • 8 de la Préfecture de police (dont 6 de la DSPAP et 2 de la DPJ)

Répondant à l'invitation du SICOP (Service d'Information et de Communication de la Police nationale), j'ai pu assister, le 8 novembre dernier, à la restitution de ces groupes de travail, en présence de nombreux directeurs de la Police Nationale, ainsi que de Monsieur Eric Morvan, Directeur Général.

Les propositions qui ont été dégagées sont les suivantes:

SIMPLIFIER LA PROCEDURE

  1. étendre et harmoniser les procédures simplifiées pour le contentieux de masse. Élargir le champ d'application (domaine économique et financier, routier et à certaines contraventions de 5ème classe), tout en permettant au policier de ne rédiger qu'un seul procès-verbal qui retrace l’interpellation, l’audition et la notification de la décision du parquet, fonction des critères prédéfinis au niveau national; pour autant, ces procédures doivent demeurer une faculté, pour l'OPJ qui, s'il le décide, peut décider d'une procédure classique
  2. Forfaitiser certains contentieux, c'est à dire systématiser la sanction par amende immédiate (usage de stupéfiants, porte d'arme de catégorie D, conduite malgré la perte totale des points, vente à la sauvette, occupation illicite des halls d'immeuble, vols à l'étalage reconnus dont l'objet a été restitué, etc..)
  3. Envisager "l'absence de poursuite" à l'initiative de l'OPJ pour certains contentieux et dans des conditions précises. C'est à dire que l'OPJ peut décider d'un classement ab-initio dès lors que les éléments constitutifs ne sont pas réunis, que l'infraction est imaginaire, que le préjudice est très faible, voir réparé, et/ou que le trouble a cessé... Cela serait à l'image de ce que font déjà le Officiers du Ministère Public (en général les chefs de circonscription) pour les contraventions de la 1ère à la 4ème classe. Néanmoins, le Parquet, lequel dispose de l'opportunité des poursuites, aurait un droit de regard et de contrôle avec, de fait, un pouvoir final.
  4. Extension de l'enquête de flagrance à un mois tout en supprimant la règle selon laquelle un acte positif par jour doit être réalisé; permettrait d'améliorer l'efficacité des procédures tout en allégeant le formalisme, de désengorger les sollicitations auprès du parquet, mais aussi les ouvertures d'information motivées par le maintien des pouvoirs de coercition.
  5. modification des cadres d'enquête; il y en aurait un sous l'autorité du parquet (on réunit donc la flagrance et la préliminaire), et un autre sous l'autorité du juge d'instruction. Les pouvoirs coercitifs de la flagrance peuvent être utilisés d'initiative par l'OPJ, lorsque la situation l'exige; soit, comme actuellement, au regard du moment de commission de l'infraction, soit la révélation d'une infraction, soit l'urgence (notion restant à définir)
  6. affirmer la force probante du procès-verbal rédigé par les policiers; il n'apparaît pas normal, dans certaines procédures, que les policiers soient réentendus comme témoin, juste pour confirmer ce qu'ils ont écrit sur un procès-verbal; il s'agit d'une mesure de confiance envers les policiers
  7. simplifier le régime d'enquête pour les mineurs; par exemple, suppression de la présomption de contrainte ( revenir sur la jurisprudence récente qui considère qu'un mineur ne peut être "invité à suivre" sans exercice de la contrainte) lors du transport d'un mineur pour permettre son audition libre au commissariat (alors qu'aujourd'hui, la présomption de contrainte oblige finalement l'OPJ à le placer en garde à vue) ; suppression de l'enregistrement vidéo à partir du moment où un avocat est présent, avis unique au parquet du lieu de commission des faits. Pour les mineurs de 16/18 ans, suppression de l'assistance obligatoire des avocats pendant la garde à vue, des parents pendant la perquisition, et de la remise au civilement responsable
  8. simplification du régime de la garde à vue: pour les infractions les plus graves (crime, délinquance organisée, et terrorisme), créer un délai initial de la garde à vue de 48h sur initiative de l'OPJ en obligeant un compte rendu au magistrat à l'issue d'un délai de 24h, avec un principe de maintien en garde à vue sauf avis contraire du parquet; supprimer la formalisation des demandes de prolongation de garde à vue, le sursis à l'avis famille peut être décidé d'initiative par l'OPJ (qui le mentionne dans son avis parquet); modifier le point de départ des délais d'avis parquet/avocat en le déplaçant au moment de la présentation à l'OPJ (dans les cas d'interpellation par des équipages de voie publique (permet de tenir compte de temps de transport, de présentation à l'OPJ...)

MODERNISER L'ENQUETE

  1. Dématérialisation de la procédure
  2. Développer le dispositif intégré pour faciliter la gestion des Garde à vue (développement de e-gav, en test dans l'Essonne, et/ou de la plateforme de gestion des GAV, en test en Alsace)
  3. Dépôt de plainte 100% en ligne (limité aux infractions contre les biens ET contre X, comme les escroqueries pour lesquelles les victimes ne viennent que pour avoir un document à transmettre à une assurance)
  4. Prise en compte des besoins des policiers dans la PNIJ (Plateforme Nationale des Interceptions Judiciaires); note personnelle: c'est déjà en cours, puisque des policiers assistent aux "comités utilisateurs"
  5. Recours à la visio conférence: pour les prolongations de garde à vue, pour les présentations du mis en cause lorsque le TGI ne dispose pas d'un dépôt H24, que le service enquêteur est situé au-delà d'une certaine distance, ou encore pour l'audition de témoins, à partir d'un service de police ou de gendarmerie local, dans le cadre d'une enquête initiée par un service éloigné
  6. mise en place d'une plateforme sécurisée d'échanges dématérialisée avec les partenaires publics (CAF, URSAF, et tous ceux, au sein de administrations, susceptibles de répondre à des réquisitions judiciaires)
  7. fiabilisation de l'Etat Civil des mis en cause par le rapprochement des fichiers TAJ, FAED et FNAEG et TES commun CNI et passeports (ce qui permettrait à nombre d'individus de ne plus pouvoir circuler sous de fausses identités à multiples reprises, surtout ceux qui ne sont pas porteurs de titres)
  8. création d'un outil de gestion partagé des scellés (afin de permettre leur traçabilité, par exemple par code barre), tout au long de la procédure
  9. création d'un logiciel de transcription des auditions à reconnaissance vocale
  10. faire du LRP4 un outil de référence, central, pour l'enquêteur
  11. généralisation des outils de mobilité pour les enquêteurs (système NEO) permettant de procéder aux premiers actes sur le terrain
  12. mise en place d'un outil permettant une interrogation simultanée de plusieurs fichiers (ce que font les enquêteurs actuellement, mais par de multiples requêtes)
  13. création d'outils d'appui à l'élucidation (application permettant la l'aide à l'exploitation de la vidéosurveillance, à la lecture croisée de comptes bancaires, à la PTS...)

ADAPTER LES POUVOIRS DES OPJ, APJ ET PERSONNELS SCIENTIFIQUES

  1. Renforcer les pouvoirs des APJ. Par exemple, les autoriser à certaines réquisitions en préliminaire (puisque le Parquet a déjà donné son accord, en général, pour la/les réquisitions), voir en flagrance dans l'urgence, sous le contrôle d'un OPJ  (vidéo qui pourrait s'effacer automatiquement si non saisie de suite); effectuer d'initiative des contrôles d'alcoolémie et conduite après usage de stupéfiants, réquisitions FNAEG, réaliser les tests et pesées de produits stupéfiants, acter sous le contrôle de l'OPJ, dans le cadre d'une commission rogatoire...
  2. Fournir aux OPJ une habilitation et une compétence nationale, ce qui permet toutes les formations liées à certains déplacements, de s'adapter aux nouvelles formes de délinquance...
  3. harmoniser les techniques spéciales d'enquête; par exemple il faudrait intégrer des possibilités d'écoute sur tous les crimes, même de droit commun; ou encore, harmoniser les durées et autorités qui délivrent les autorisations, relatives aux interceptions judiciaires, géolocalisation, tracking, etc.
  4. réintégrer la possibilité, pour l'OPJ, de pénétrer de force dans un domicile avec un article 78 (retour sur la jurisprudence de février 2017). Il en va de la sécurisation des interventions, et des risques de disparition des preuves
  5. confier l'intégralité du traitement des contentieux spécifiques aux  administrations concernées (infractions liées au droit du travail, à l'environnement, à la fraude, l'urbanisme ...); les dossiers sont souvent très techniques et n'ont rien à voir avec le Code Pénal et le coeur de métier des policiers
  6. limiter les recours à la réquisition et en assouplir les modalités: par exemple, un bailleur social peut refuser de répondre favorablement à une réquisition permettant aux forces de l'ordre d'entrer dans les parties communes d'un immeuble; renverser la charge, afin de faire en sorte que, en cas de refus, c'est le bailleur qui doit le faire savoir aux autorités; valable également pour les examens techniques à l’intérieur même de la Police. Harmoniser les autorisations spécifiques à réquisition (en préliminaire) très disparates en fonction des parquets
  7. Renforcer les pouvoirs de la Police Technique et Scientifique et des personnes qualifiées; un agent PTS pourrait tout aussi bien être chargé de constatations sur les lieux d'un cambriolage, et lui-même se charger de la saisine des laboratoires publics chargés des examens techniques;  tout comme un médecin légiste pourrait être autorisé à faire des scellés issus de ses examens, comme l'investigateur en cybercriminalité (non OPJ)
  8. les APJA (ADS ou réservistes) pourraient se voir autoriser de procéder à certains procès-verbaux "simples" comme prendre certaines plaintes, procéder à certains avis téléphoniques (avis victime), avoir accès à la Main Courante Informatisée ...). Etant précisé qu'une réflexion devrait aussi être menée quant au bloc OPJ en lui-même, sur le fait de savoir s'il ne pourrait être intégré à la formation initiale pour certaines élèves, mais aussi sur le fait que, souvent, le bloc OPJ est passé dans un service, mais sert en fait le fonctionnaire à pouvoir muter plus facilement, auquel cas, le service en question n'est pas récompensé de l'investissement qu'il a fait.

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Voilà donc un "catalogue" de mesures qui sera soumis aux policiers dans le cadre de la grande consultation annoncée par le gouvernement.

Ne nous trompons pas dans l'objectif poursuivi; il s'agit là de parer à l'urgent, afin que les services puissent retrouver un minimum de fonctionnement correcte. Ces groupes de travail me donnent la sensation d'initier un mouvement qui est, à mon sens, absolument nécessaire. Une fois n'est pas coutume, il y a eu une consultation des praticiens, ce qui, il faut le dire, n'est pas habituel, tellement, en général, tout vient "d'en haut", dicté par des gens qui n'useront jamais de ce qu'ils décident pour les autres.

Alors certes, tout cela donne un peu l'impression d'être fait dans l’urgence ce qui induit, à mon sens, que les mesures proposées me semblent manquer, parfois, d'inventivité par certains aspects. Ce qui ne veut pas dire que j'ai des idées toutes faites en la matière, mais plus que, avec le temps de la réflexion, l'on peut imaginer bien plus de choses. Mais, encore une fois, les échanges et la concertation ont le mérite d'exister. Prenons cela pour un "galop d'essai".

Je n'oublie pas non plus que la dernière fois que l'on a promis une simplification de la procédure aux forces de l'ordre, l'on nous a ajouté des contraintes supplémentaires. De fait, les enquêteurs demeureront, je n'en doute pas, vigilants.

Pourtant, ces consultations ne remplaceront pas des "assises de la procédure" que j'appelle de mes vœux, mettant en partenariat tous les chaînons de la justice, qu'il s'agisse de forces de l'ordre, du Ministère de la Justice dans toutes ses composantes (administration pénitentiaire, juridictions, PJJ... ), mais aussi les représentants de la profession d'avocat. Le vrai courage, qui doit être initié par le politique, sera de préparer une vaste réforme globale, un véritable chantier pour une réelle justice du 21ème siècle, dans lequel l'on se donnera le temps de la réflexion par la consultation. Mais cela doit être sur du moyen terme.

Pour le moment, et à brève écheance, gageons que, par le biais de ces consultations, policiers et fonctionnaires du ministère de la justice (magistrats, greffiers), sauront trouver des convergences dans les réformes (que je pourrais appeler "de premier niveau") à mener. Il en va, je me repète, de l'efficacité des services d'investigation et de la justice.

Enfin, je tiens à remercier le SICOP, qui m'a permis de participer à cette restitution, par le biais inhabituel et moderne du compte Twitter @PoliceNationale . Comme quoi même la police s’éveille aux nouvelles technologies. Et c'est bien ainsi.

Le débat est désormais ouvert. Vous êtes policier, magistrat, greffier, avocat, ou même non juriste... ce débat vous appartient. Que pensez-vous de ces propositions? Peut-être en avez-vous d'autres?