Le policier et le droit à son image

Mercredi 7 juin en début de soirée, quartier Dunant, à Meaux (77). Un équipage de la Police Municipale décide de procéder à l'interpellation de plusieurs hommes soupçonnés d'avoir dégradé des clôtures. Les policiers intervenants sont alors la cible de jets de pierre, et font appel à la Police Nationale en renfort. Les effectifs arrivent, et procèdent à l'interpellation de ceux qui jetaient les pierres.

Amal Bentounsi est non loin de tous ces événements, et les filme, tout en les diffusant, en direct, sur Facebook. Les policiers le remarquent, et demandent à Amal Bentounsi de cesser l'enregistrement. Elle refuse. Après quelques minutes de discussion, les policiers procèdent à son interpellation. Elle est placée en garde à vue pour, selon le parquet, "divulgation d’un enregistrement obtenu par une atteinte à l’intimité de la vie privée et rébellion".

Pour rappel, Amal Bentounsi est la sœur de Amine Bentounsi, tué par un tir policier en 2012, à Bobigny. Elle a, par la suite, créé le collectif "Urgence notre police assassine". 

C'est n'est pas la première fois que le problème relatif au filmage d'une intervention policière se pose. Et ces actes sont même de plus en plus courant. Il y a là confrontation de deux notions distinctes: le droit à l'image, et le droit à l'information.

Le droit à l'image - le respect à la vie privée

Plusieurs affaires ont naviguées au milieu des pages des faits divers, dans lesquelles un policier, se voyant filmé, a interpellé l'auteur de la vidéo, en lui soustrayant son matériel. Amal Bentounsi n'est que le ixième cas apparu; à la différence près qu'elle diffusait les images en même temps.

C'est une circulaire du 23 décembre 2008 (2008/8433) qui est venu rappeler aux policiers l’état du droit français en la matière. Et cette circulaire est donc toujours d'actualité.

La vie privée est protégée par l'article 226-1 du Code Pénal, selon lequel
Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.

De fait, le policier, agissant à titre privé, est protégé comme tout citoyen. Pour autant, lorsqu'il agit en sa qualité, il n'agit plus dans un cadre privé, mais comme "autorité" qui lui délègue l'Etat.

Dès lors, le policier ne peut s'opposer à l'enregistrement et/ou la diffusion d'image captées, qu'elles soient le fait d'un journaliste ou d'une personne privée. Aussi, il n'est pas question de procéder à une interpellation sur ce seul motif.

Il existe cependant des exceptions:

  • une victime physique d'agression dont on pourrait voir, de manière apparente, les blessures
  • une personne identifiée ou identifiable à l'occasion d'une procédure pénale, non encore jugée, laquelle serait entravée par des menottes
  • des policiers appartenant aux services d'intervention, de lutte anti-terroriste, dont les services sont listés par arrêté ministériel

Les limites du droit à l'enregistrement et à la diffusion

Si, comme le rappelle la circulaire, l'enregistrement et la diffusion sont autorisées, les infractions commises à l'encontre des policiers qui seraient la conséquence de la diffusion d'un enregistrement restent punissables. J'imagine assez bien la litanie des commentaires, en direct, qui ont pu parsemer cette vidéo. Mais quelle responsabilité, pour qui?

Le site sur lequel a été diffusée la vidéo "Urgence notre police assassine"  peut être considéré, me semble-t-il, comme un blog (comme celui-ci), puisqu'il en présente les mêmes caractéristiques, si ce n'est le support, qui change (en l’espèce, Facebook).

Ainsi, le blog est soumis à la législation applicable aux services de communication au public en ligne, tels que définis par la loi du 21 juin 2004 dite "LCEN" (Loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique). Au terme de cette loi, le créateur du Blog est qualifié, fonction de son rôle exacte,  d’éditeur (une personne morale) ou "directeur de la publication" (une personne physique). C'est ce dernier qui est responsable des contenus édités sur le Blog:

  • soit parce qu’il a lui même écrit les billets
  • soit parce qu’il exerce un contrôle préalable sur les contenus avant leur mise en ligne

Pour autant, nous nous trouvons dans le cas précis où les commentaires, faits en direct, ne peuvent pas être directement contrôlés par l'éditeur. De fait, il ne peut être tenu pour responsable des commentaires. Pourtant, sa responsabilité pourrait être partielle dans le cas où il n'agirait pas rapidement, afin que les commentaires ne soient plus accessibles. Est-ce possible, sur les "live Facebook" ?

De la même manière, l'un des utilisateurs de la page Facebook a appelé ses "lecteurs" à téléphoner au commissariat où était retenue Amal Bentounsi, par pure volonté de déranger/engorger le standard. Et cela a engendré un dysfonctionnement du standard, saturé. Avec les conséquences que cela pourrait provoquer, empêchant une personne de faire appel à la police (malgré l'existence du 17 police secours). Là aussi, il pourrait y avoir à redire...

D'une manière générale, c'est donc très clair. Rien ne peut, à ce jour, empêcher la diffusion d'une vidéo sur laquelle apparaît un policier. Pour autant, je m'écarte un peu du droit actuel. Je me dis qu'étant en tenue, je n'aimerais pas qu'une vidéo, me filmant, en intervention (quelle qu'elle soit) se retrouve sur le net sans que je ne puisse le contrôler. C'est, en 2017, devenu un vrai risque, lorsque l'on sait que les policiers sont pris volontairement pour cible pour ce qu'ils sont. Tous mes voisins, qui pourraient avoir accès à ces vidéos, n'ont pas vocation à connaitre ma profession Je n'ai pas forcément envie que tous les élèves de la classe de mes enfants sachent que je suis policier, puisque cela pourrait devenir un problème pour eux! Et l'on imagine assez bien ce que des vidéos d'interpellations "musclées" (même légales) pourraient faire dire (ou faire) à certains.

Ce sont là de vrais risques supplémentaires encourus par les policiers qui doivent déjà être sur le qui vive de manière constante, lorsqu'ils sont en tenue; preuve en est l'attaque du policier sur le parvis de Notre Dame voilà deux semaines. Alors si en plus, par la diffusion de plus en plus fréquente de telles vidéos, ils se doivent encore d'être aussi, non pas attentifs, mais vigilants quant à leur propre sécurité, hors service...

De fait, il m’apparaîtrait pour le moins normal qu'un texte demande, à minima, qu'en cas de prise de vue, les visages des policiers soient floutés avant diffusion. Attention, il ne s'agit pas de cacher des visages, si ces vidéos sont destinées à l'autorité judiciaire en tant qu'élément de preuve, mais bien pour la diffusion globale à un public non contrôlé. Il semblerait, pour en revenir au cas initial, que Amal Bentounsi ait pris le soin de ne pas filmer les visages des policiers; c'est, en tous les cas ce qu'elle dit.

Les temps changent très vite. Le net va encore plus vite. A coté de cela, notre législation peine à se mettre à la page. Faisons en sorte que les policiers soient protégés.

J'ajouterai enfin qu'il tarde que tous les équipages de policiers soient dotés des systèmes d'enregistrement de leurs interventions. Il ne s'agit pas, à chaque fois, que de montrer des images pour lesquelles le doute pèse sur l'intervention, mais peut-être aussi, plus souvent, de la situation de violence qu'ils connaissent au quotidien. Il est trop facile de ne toujours entendre qu'un son de cloche. Comme souvent, ne sont perçues que les situations où les policiers sont mis en cause. C'est une bonne chose que cela se sache. Mais, inversement, l'on ne voit jamais rien de ce qu'ils subissent. C'est, quelque part, une façon, me semble-t-il, de manipuler une opinion publique.

Enfin, ce n'est que mon avis.