La jupe, symbole de toutes les "ostentations" féminines?

6885300914_3e7783a34d_oElle est trop longue, la jupe de la collégienne musulmane. Trop longue pour ne pas être suspecte. On dirait le voile qu'elle avait sur la tête, tombé sur ses jambes. C'est un signe religieux ostentatoire. C'est une provocation, un contournement explicite de la loi de 2004. Celles et ceux qui en sont convaincu-es et le dénoncent en veulent pour preuve qu'elle aurait choisi de la porter ainsi après s'être concertée avec d'autres camarades, musulmanes comme elle.

J'ai souvenir, au même âge que la collégienne de Charleville-Mézières, d'avoir moi aussi, avec des copines, lancé ou suivi des défis vestimentaires : demain, on vient toutes habillées en rouge, toutes avec un chapeau, toutes avec un tee-shirt du Che... C'était signifiant, pour dire qu'on était un groupe, une coterie, une société d'affinités et d'appartenance, pour dire à la face des autres élèves, des profs, des adultes, des institutions que nous étions soudées par quelque chose. Pour porter un message aussi parfois, c'est vrai, au travers d'un "anarchist", d'un slogan "interdit d'interdire" ou d'une petite main jaune anti-raciste imprimés le sur tee-shirt (au hasard).  Mais c'était pas pareil et c'était sans doute une autre époque, comme disent les vieilles et vieux (dont le temps passant, je finis par faire partie).

C'était une époque où notre jupe, elle dérangeait surtout quand elle était trop courte. Où nos parents étaient convoqués par le proviseur quand il fallait nous empêcher de venir au bahut "habillée comme une pute". Où l'on nous expliquait qu'il y a des messages que notre corps envoie aux garçons et que nous étions priées d'y faire attention, à la fois pour qu'ils ne nous fassent pas des misères et aussi pour ne pas les déconcentrer.

Mais en fait, si, c'est toujours la même époque et c'est toujours pareil, car finalement, en même temps que l'on reproche ouvertement à certaines les motifs d'une jupe longue, symbole d'une ostentatoire pudeur et d'un refus du lien avec les hommes, on continue à reprocher à d'autres les intentions d'une jupe courte, symbole d'une ostentatoire impudeur et d'une volonté de trop vouloir attirer l'attention des hommes.

Le fond moral est le même chez toutes et tous celles et ceux qui veulent rallonger d'un centimètre sous le genou ou bien jusqu'aux chevilles la jupe des filles : le corps féminin quand il se montre est une atteinte à la pudeur, la cause de tous les malheurs, la raison même des violences faites aux femmes (non, non, les violences ne procèdent pas de l'agressivité dirigée contre elles, mais de ce qu'elles suscitent en se montrant dans l'espace public, là où tout vêtement, tout geste, tout comportement est interprété comme l'expression d'un dessein malsain, celui de trop se cacher, de trop se montrer, de toujours chercher quelque chose ou quelqu'un).

Le fond politique est également identique chez celles et ceux qui partent du principe que le choix d'enfiler telle ou telle jupe ne relève pas d'une décision autonome de qui la porte : la jupe trop longue de la collégienne est un signe de servitude directe, le témoin d'une soumission à une religion qui ne veut pas du bien à sa liberté ; la jupe trop courte de sa camarade, c'est le marqueur de la servitude volontaire, du mauvais usage qu'elle fait d'une liberté qui ne saurait être jamais pleinement la sienne, la représentation de son allégeance à l'injonction d'être sexy pour plaire. Et si nos jupes doivent être mesurées au centimètre près (et nos corps avec), chaque fois que nous sortons, alors, là encore, là plus que jamais, ne sommes-nous pas sous emprise des certitudes d'autres que nous-mêmes sur ce que femme doit être et montrer d'elle?

 

UnknownNous resterait, pour éviter que notre jupe fasse l'objet d'interprétations diverses et croisées sur nos intentions, qu'à porter le pantalon... C'est assez cocasse, quand on y pense, car ce vêtement-là nous fut précisément longtemps interdit, en France. Par une ordonnance révolutionnaire qui, bien que tombée en désuétude depuis plusieurs décennies, ne fut abolie qu'en 2013. Ce que ce texte condamnait, c'était le "travestissement", quand le pantalon de la femme semblait signifier avant tout son désir de passer pour un homme, de se prendre pour tel, de prendre la place d'icelui.

Pourtant, la preuve est faite que les femmes savent bien s'habiller comme elles veulent, vraiment comme elles veulent, pour des raisons qui leur appartiennent et ne tournent pas toutes autour du regard des hommes, puisque faisant fi d'un texte légal leur interdisant le port du pantalon, elles ne se sont pas gênées pour l'enfiler et se donner à cette occasion les moyens de faire varier autant qu'elles veulent leur tenue (pouvant faire le choix aussi bien de s'habiller de la même façon tous les jours ou bien de changer de style à leur guise, selon le temps qu'il fait et leur état d'esprit).

On ne peut pas en dire autant des hommes qui, bien que rien d'officiellement écrit ne les empêche de se mettre en jupe, n'envisagent ce vêtement-là pour eux-mêmes et considèrent, pour la plupart, qu'en faire le choix serait a minima se travestir et probablement se ridiculiser. Alors, finalement, c'est qui, le plus soumis aux normes sociales, le matin, en sous-vêtements devant sa penderie?