Dénonciation du sexisme : osons le visage découvert!

GraziaC'est toujours un peu inattendu dans la presse féminine qui joue incessamment d'ambiguïtés avec les stéréotypes de genre, mais c'est un fait louable : Grazia consacre, dans son dernier numéro, un article complet au machisme dont les hommes politiques font preuve à l'égard des femmes journalistes.

Rien qui ne soit de l'ordre du scoop dans ce papier : on évoque la condescendance infantilisante (quand la femme jeune qui bosse est rappelée à sa fraîcheur sous forme de commentaire faussement flatteur et franchement déligitimant), les préjugés stéréotypés (c'est pas la journaliste ça, ce doit être une maquilleuse), la drague lourde, entre insistantes invitations à dîner et propos déplacés, le "harcèlement" même parfois...

Rien de cela ne surprend. Mais ça va mieux en le rappelant... Sauf que le témoignage de la journaliste politique qui dénonce ces agissements courants est signé d'un pseudonyme. Lélia Posay n'existe pas. A tout le moins avance-t-elle masquée et selon TerraFemina qui a cherché à la contacter, ne souhaite pas révéler son identité.

Cet anonymat/pseudonymat pose à mon sens au moins 3 problèmes :

1. La valeur du témoignage

 

L'anonymat, chacun-e le sait, a pour vertu de protéger qui témoigne d'éventuelles représailles.

Ce n'est donc pas absurde qu'ayant construit une carrière et pour cela, tissé un réseau, une journaliste hésite à se "griller" avec ses contacts et les ami-es (d'ami-es d'ami-es) de ses contacts en dénonçant les pratiques d'un milieu dans lequel elle a cependant besoin d'être inséré-e pour faire son job.

Mais l'anonymat ou le pseudonymat ont pour défaut d'instiller dans les esprits le soupçon d'un témoignage peu ou non valable, dont la portée est atténuée par l'invérifiabilité de l'identité de son auteur-e. Puisqu'on ne sait qui parle, toutes les conjectures sont permises sur les motifs du témoin et les circonstances de sa prise de parole (a-t-il/elle des comptes à régler? Est-il/elle dépité-e? Est-il/elle irréprochable de son côté?). Même s'il s'agit là d'un renversement de la charge de la preuve, très classique quand il est question de violences faites aux femmes, il me semble préférable, quand cela est possible, ne pas y prêter le flanc de façon inespérée pour celles et ceux que le déni tente toujours plus que la lucidité.

 

2. L'inscription victimaire du témoignage

 

L'anonymat/pseudonymat convoque aussi, dans l'imaginaire commun, la figure du lâche délateur. De la personne qui ne s'engage qu'à-demi dans la dénonciation, arrêtant son courage au moment où sa prise de parole la rendra comptable de ses propos.

Là aussi, il faut se méfier d'une disqualification de principe du témoignage au seul motif de l'anonymat : il est évident que de nombreuses victimes  (qu'elles soient femmes ou hommes) de violences (de tous ordres) ne pourraient prendre la parole (et dans les cas relevant du pénal, porter plainte) sans avoir la garantie que leur identité sera protégée.

Mais dans la situation qui nous occupe, celle d'une journaliste politique confrontée dans le légitime exercice de sa profession à un sexisme inacceptable, la perspective victimaire qui est de fait comprise dans le choix de l'anonymat pose question. Non parce qu'on remettrait en cause la violence qui lui est faite. Ni non plus parce qu'on estimerait que sa position (qu'on suppose de femme bien intégrée) s'oppose au statut de victime.

Mais à cause de son métier, précisément. Ce métier-là, journaliste (politique, de surcroît), contient une mission première et fondamentale d'information. Ce qui interroge alors, ce sont les conditions dans lesquelles l'information est produite : un-e journaliste qui craint des représailles, ou à tout le moins doit intégrer en amont de sa démarche d'enquête, les conséquences éventuelles pour sa propre personne de ce qu'il/elle révèlera n'est il/elle pas en quelqe sorte "sous influence"? Peut-il/elle faire correctement son métier? Si l'on sort du cas particulier de la dénonciation du sexisme, peut-on enquêter sainement sur toutes sortes de sujets hautement sensibles  (au hasard, les malversations financières, les ambiguïtés de nos dirigeant-es avec la fiscalité, les étranges tour de passe de certains jeux de pouvoir, les affaires de copinage dans les hautes sphères ?), quand on garde incessamment à l'esprit qu'il ne faudra pas que se sache qu'on a juste fait son boulot?

A moins que le hic vienne précisément du contenu de ce qui est instruit/révélé/dénoncé : serait-il plus valorisant dans une carrière de journaliste d'être l'auteur-e d'un article sur la cooptation entre élites (par exemple, pour rester dans d'équivalentes proportions) que d'un article sur le sexisme décomplexé qui a ordinairement cours parmi ces mêmes élites?

 

3. La préservation du tabou

 

C'est cette hypothèse d'une dénonciation du sexisme peu considérée (voire considérée comme dégradante pour la personne qui témoigne) qui me fait en venir à la troisième (et plus importante) difficulté que cet anonymat/pseudonymat soulève. Il y a, dans le refus de se "griller" en signant de son nom un papier sur le sexisme en politique, une forme d'acceptation du fait. En tout cas, une intégration de l'idée que ce n'est pas glorieux pour soi de faire l'objet de ce sexisme. Comme si, finalement, la personne dont le sexisme dégrade l'image, ce n'est pas l'auteur du propos déplacé, du geste malvenu, du harcèlement caractérisé, mais celle qui les encaisse.

Pourtant, quand il y a une dizaine de jours, on a assisté dans, le reportage d'Envoyé Spécial sur Arnaud Montebourg, à l'une de ses saillies typiques de politiciens qui répondent à une question dérangeante par une remarque condescendante en l'occurrence doublée de misogynie, je m'y suis fait la réflexion suivante : la véritable avancée, c'est qu'une femme journaliste ne coupe pas ce passage au montage.

Il y a quelques années, la plupart d'entre nous passaient sous silence (ou ne parlaient qu'à mots couverts ou bien dans la seule intimité) des agressions sexistes dont elles faisaient l'objet, parce que précisément, elles craignaient que ça se retourne contre elles, que le mépris qui leur était adressé par l'auteur des propos misogynes se propage dans l'esprit des spectacteurs de la situation, ce qui in fine les humilierait publiquement, elles. Quand cette reporter d'Envoyé Spécial conserve la séquence où son interlocuteur tente de la discréditer par une aussi basse sortie machiste, cela dit qu'elle a confiance dans les mentalités pour discerner qui est méprisable : l'auteur du propos méprisant et non sa récipiendaire.

C'est alors un tabou qui saute : le sexisme commence à être considéré, à l'équivalent par exemple du racisme, comme un comportement objectivement détestable, qui fait partie de ce qu'on ne peut accepter de nos élu-es, qui compte à part entière dans la perception que l'on en a et dans l'estime qu'on leur porte (ou pas). Il me semble que ce serait donc une reculade de persister à dénoncer le sexisme à visage couvert, car il n'y a strictement aucune raison d'avoir honte d'en faire l'objet.

La honte a commencé à changer de camp, ne lui rendons pas de trop belles occasions de se reporter sur une peur savamment entretenue de passer pour autre chose que ce que nous sommes. A savoir rien de plus estimable et valorisant que des femmes affirmées, assumées, engagées et courageuses.