Un billet de banque, une féministe, des insultes, des menaces de viol... Et la loi de Lewis

Vous connaissez la loi de Lewis?

Elle s'énonce ainsi : "les commentaires de n'importe quel article sur le féminisme justifient l'existence du féminisme".

lewisOn la doit à la journaliste britannique Helen Lewis, qui, écrivant fréquemment sur l'égalité femmes/hommes dans divers journaux dont le News Statesman, le Guardian ou le Daily Mail, a pu observer que la contradiction que les commentateurs lui apportaient se résumait pour une grande partie à des insultes sexistes. En d'autres termes, au lieu de s'attacher au fond de ses propos et d'argumenter sur les différents points de sa réflexion, on la renvoyait plus volontiers passer la serpillère, causer chiffon avec ses copines, faire un régime... Ou prendre le bon gros coup de b... qui lui ferait grand bien, à cette mal-baisée de service.

Mar_lard, la gameuse qui, en août dernier, publiait un dossier très riche, très sourcé et très pertinent pour dénoncer la culture machiste qui règne dans tout l'univers du jeu vidéo a pu, elle aussi vérifier la loi de Lewis : une avalanche de tweets plus gras les uns que les autres s'est déversée sur son compte.

capture-d_ec49bcran-3La féministe Lise Bouvet, très active sur les réseaux sociaux, reçoit aussi son lot quotidien d'insultes et parfois de menaces en réponse à ses prises de position contre la prostitution, en particulier. Elle les collecte et les assemble de temps à autre, en sinistres collages qui disent toute la violence contre sa propre personne que s'autorisent celles et ceux qui ne partagent pas son avis... Cette violence est assez systématiquement tournée vers son corps, disons-le même plus directement, vers son sexe. Il est régulièrement question de la taper ou de la violer. On lui adresse aussi des photos pornos sans équivoque. Le moyen le plus sûr de la faire taire?

forumComme d'autres, j'ai eu à mon tour les honneurs de la toile machiste. Côté commentaires, passe encore (ils sont modérés en amont, non par moi, mais par France Télévisions, qui en tant qu'hébergeur veille à ne pas diffuser ceux qui contreviennent aux lois de la République). Sur Twitter, ça chauffe parfois, certain-es fans de Cantat ou d'Orelsan m'ont fait comprendre que c'était pas touche à l'idole si je tenais à mes fesses virtuelles. J'ai aussi reçu des mails, évidemment anonymes, à mon adresse personnelle. Et j'ai occasionnellement fait face à des déchaînements d'agressivité sur des forums : comme ici, où l'on me traite sans vergogne de "grognasse", de "déchet", de "beauf hautaine aigrie sans talent", immanquablement de "mal baisée sans humour" et où l'on évoque l'envie irrépressible de me "balancer des gants Mappa à la tronche", de me "bukkaker" - c'est à dire de m'éjaculer collectivement à la face, tout simplement -, ou de "(m)'envoyer pendant un mois en Iran, cette pute, pour (me) faire les manières".

Toutes les féministes qui s'expriment publiquement vivent avec ça. La plupart d'entre nous faisons les braves, affirmons que ça ne nous touche pas, que les chiens peuvent toujours aboyer, que la caravane passe, que nous n'avons pas peur, que ce n'est pas ce qui va nous arrêter. Nous nous consolons en tâchant de porter notre regard sur les messages d'encouragement plutôt que sur ceux qui nous sont crachés sur l'écran avec fiel. Nous nous rassurons en nous disant que c'est pas des excité-es sur la toile qui vont nous faire plier ou rabattre notre caquet. Que tout ça, c'est du virtuel, que la majorité des agité-es qui dégainent de l'appel au viol bien planqué-es derrière leur clavier n'oseraient même pas nous adresser la parole dans le monde réel.

Mais nous n'en sommes pas si sûres. Et nous sommes évidemment touchées par les injures, parfois blessées, même si ça nous déprime que l'intention ait atteint son but. Il m'arrive même, puisque je veux être franche, de passer par le sentiment de culpabilité, de me dire pendant quelques instants, qu'après tout, je l'ai cherché, que si je ne voulais pas me faire agresser de la sorte, je n'avais qu'à pas la ramener.

629454_le-nouveau-billet-de-10-livres-qui-representera-la-romanciere-jane-austenDans l'actu toute récente, c'est le cas de la journaliste anglaise Caroline Criado-Perez qui illustre la triste loi de Lewis. Parce qu'elle a milité, avec un collectif de femmes, pour que le billet de 10 £ soit à l'effigie de la romancière Jane Austen, elle a reçu jusqu'à 50 tweets insultants et/ou menaçants par heure. L'idée générale de ses harceleurs on-line, c'est qu'en représailles de ce crime (rappelons qu'il est question de faire figurer le portrait d'une immense écrivaine sur un billet de banque), il faudrait la violer. On ne sait s'ils ont l'intention de la coincer chez elle ou dans une ruelle pour passer à l'acte, mais ils ont visiblement la volonté ferme de lui faire comprendre que quand on énerve les machistes, c'est un risque à prendre. A elle d'en tirer les conclusions qui s'imposent et de réfléchir à deux fois la prochaine fois qu'elle compte l'ouvrir.

Sauf que Caroline Criardo-Perez a décidé de ne pas se laisser intimider. Après s'être vu répondre par le responsable de Twitter au Royaume-Uni qu'elle n'avait qu'à suivre la procédure de signalement de contenus abusifs en place et constaté la lenteur et l'inefficacité de ce dispositif, elle a décidé de passer à la vitesse supérieure. Elle a récolté en quelques jours plus de 60 000 signatures au bas d'une pétition exigeant des dirigeants de la plateforme de micro-blogging qu'ils prennent leurs responsabilités pour de vrai. Et il se pourrait bien qu'elle soit en train de gagner la partie : Twitter a annoncé lundi, dans un communiqué de presse, qu'un bouton de signalement rapide allait prochainement être installé sur le site. En revanche, il est peu probable que le réseau social cède sur la question de la protection de l'anonymat de ses utilisateurs. Malgré cela, la police britannique a déjà pu mettre la main sur l'un des twittagresseurs de Caroline Criardo-Perez, un jeune homme de Manchester.

On parie combien qu'ils sont déjà plus d'un à hurler à la restriction de la liberté d'expression par la faute de ces salopes d'hystériques grognasses de malbaisées féministes sans humour qui auraient bien besoin d'un bon gros coup de b... sans consentement pour leur passer l'envie de chercher des poux aux machistes?