Sur quelques fixettes et bizarreries éducatives des candidats à la Présidentielle

@ THOMAS SAMSON / AFP

Cette semaine, je me suis penché sur le programme éducation des candidats. J’ai bien ri. Ou pas. Je ne sais plus. Peut-être que non, finalement.

Truismes

« Face aux multiples défis auxquels la France et les Français sont confrontés, l’école est le combat premier. Seule l’éducation pourra garantir la cohésion sociale et la prospérité de la France ». A votre avis, quel candidat commence ainsi la partie éducation de son programme ? Allez, mouillez-vous !... Ce pourrait être un peu tout le monde, avouez. En l’occurrence c’est Emmanuel Macron, le même qui se prononce « pour une école qui garantisse la réussite de tous et l’excellence de chacun »… Des phrases de ce genre, attribuables à tous ou presque, on en mange à toutes les sauces dans les programmes des candidats. Tiens, Mélenchon : « Nous voulons le meilleur pour tous les élèves : réussite scolaire et professionnelle, plaisir à apprendre, joie à fréquenter l’école, accomplissement individuel ».  A ce train-là moi, je veux la fin de la famine en Afrique et la paix sur Terre aux hommes de bonne volonté.

Ou comment ne rien dire avec des grands mots. Pour savoir si une idée tient la route, il suffit d’inverser la manière dont elle est énoncée ; si ça tient toujours, alors c’est sans doute une idée : les candidats qui veulent en finir avec le décrochage et l’échec scolaire se sont-ils demandé si quelqu’un souhaitait vraiment qu'ils perdurent ? Benoit Hamon déclare qu’il veut « démocratiser la réussite », ça fait un joli slogan certes, mais quel candidat écrira dans son programme éducation qu’il aimerait que seuls certains élèves réussissent ?

Les grandes déclarations des candidats ressemblent souvent à des invocations, des mantras. Par exemple, Marine Le Pen veut « imposer la sécurité » dans les écoles et Nicolas Dupont-Aignan, carrément « sanctuariser les établissements scolaires pour les prémunir de la menace terroriste et plus largement de toute forme de violence ». Nous aussi, qui travaillons dedans, on est pour ! Alors, on fait quoi ? On mise tout sur un champ de force magnétique ? Derrière les déclarations d’intention, rien, pas de proposition, ni de l’une, ni de l’autre, on comprend bien que le plus important, ce sont les mots (imposer, sécurité, sanctuariser), tant pis s’il n’y a rien derrière.

Fondamentaux

Outre la suppression des réformes des rythmes scolaires et du collège (arriver, tout casser, plutôt que construire), que tout le monde sauf Hamon promet, outre la suppression ou la création de postes d’enseignants, vrai clivage droite / gauche, les deux sujets phares de la campagne éducation sont exactement ceux qu’on aurait aimé ne pas voir, tant ils sont les symboles de la pauvreté du débat sur l’école en général : les fondamentaux et l’autorité.

Le point de départ est, ici encore, une Lapalissade : comme Dupont-Aignan, ils sont nombreux à « se fixer comme objectif minimum que chaque élève maîtrise parfaitement la lecture, l’écriture d’un texte simple, les quatre opérations de base de l’arithmétique, l’Histoire en quittant l’école primaire », comme si avant eux personne n’y avait pensé, comme si nous, sur le terrain, avions autre chose en tête, nous battions chaque jour pour qu’ils progressent en macramé. Marine Le Pen entend ainsi « assurer la transmission des connaissances par le renforcement des apprentissages fondamentaux (français, histoire, calcul) » et Emmanuel Macron veut « donner la priorité à l’apprentissage des fondamentaux « lire, écrire, compter » dans le pré-scolaire, en maternelle et en primaire » (au passage, Manu, d’une il faudra nous expliquer ce qu’est le pré-scolaire, si la maternelle vient ensuite, de deux si tu dis maternelle, alors il faut dire élémentaire, vu que primaire = maternelle + élémentaire).

Je suis instit depuis une bonne douzaine d’année, j’ai déjà vu passer 4 nouveaux programmes, issus de tous les bords politiques, et tous entendaient insister sur les fondamentaux. Tous. Pourtant, c’est la surenchère : à ma droite, le petit François, sourcil froncé, brandit sa pancarte « 75% » du temps consacré aux fondamentaux en primaire, du coup à sa droite à lui, Marine qui veut toujours faire la forte sort carrément la pancarte « 100% », histoire d’avoir le dernier mot.

Il y a plusieurs problèmes, avec les fondamentaux. D’abord, si tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont constitués majoritairement de français et de maths, chacun leur adjoint ensuite ce qu’il considère lui comme fondamental : l’histoire pour Marine Le Pen ; la géométrie, la poésie, la musique pour Jacques Cheminade ; les grandes dates et grands personnages de l’histoire de la Nation et la géographie de la France pour François Fillon... Deuxième problème, ce qu’il faut enlever : personne ne le dit, mais forcément, si on rajoute du français et des maths, c’est moins voire plus du tout de géographie, d’anglais, d’informatique, de sport, de sciences, de musique, de dessin… Ce serait assez honnête, que les candidats le disent (à la place, certains n'hésitent pas à ajouter, un peu plus loin, qu'il faut enseigner le code et l'informatique par exemple, ou comme Fillon que l'école, c'est aussi "l'ouverture au monde", cherchez l'erreur).

Par ailleurs, à ceux qui pensent que le « retour aux fondamentaux » permettra à lui seul de remonter le niveau des élèves et celui de la France dans les classements internationaux, il faut rappeler que la France est déjà la championne des fondamentaux : on y consacre 57% du temps en primaire, tous les autres pays européens sont sous les 50% sauf le Portugal. Nous y consacrons 37% du temps scolaire (seule la Hongrie dépasse les 30%, la Finlande si souvent citée en exemple est à 24%). 21% du temps scolaire est dédié aux maths en France, seule la Serbie, la Hongrie et le Portugal font mieux (Finlande : 16%) – et encore dans ces pays, les élèves ont moins d’heures de classe dans l’année, en nombre d’heures sur les fondamentaux les petits français écrasent tout le monde (source Eurydice 2015). C’est donc que le problème est ailleurs, en tout cas il ne saurait résider seulement là. La question des volumes horaires et de leur répartition mérite peut-être d’être posée, mais pas en de si simplistes termes.

Enfin, comme le dit très justement Olivier Rey sur le blog Les mots d’école, « sur le fond, revenir aux fondamentaux c’est notamment postuler qu’il n’y a qu’en faisant du français qu’on apprend à écrire ou à s’exprimer, ce qui est contraire à la plupart des conclusions des recherches sur le sujet (…). C’est souvent confondre la maitrise des langages avec la seule mémorisation-répétition des règles de ces langages. »

Autorité

L’autre star du non-débat sur l’école, c’est l’autorité, qui se limite pour beaucoup à la fameuse restauration de l’autorité. Il faut « restaurer l’autorité nécessaire » (Fillon), « rétablir l’autorité et le respect du maitre » (Le Pen), « revaloriser le métier d’enseignant par le rétablissement de l’autorité » (Dupont-Aignan) : à ceux qui se posent des questions sur l’autorité, ceux qui, comme nous enseignants, sont confrontés au quotidien à son difficile exercice, les grands mages de l’éducation nous montrent la voie : qu’on est bête, il suffisait de la restaurer !

C’est bien, ça fait autoritaire, de parler ainsi d’autorité, ça donne une posture de gardien protecteur, intransigeant (si seulement un galopin s’avisait de fouiller dans ma poche devant les caméras, je pourrais lui coller une tarte pour illustrer mon propos, ça me ferait monter de 10 points, ça !), mais ça ne fait pas avancer les choses. Là encore, on est dans l’invocation, la déclaration aussi vaine qu’inutile. Car, que proposent-ils, ces candidats, pour étayer leur belle intention ? Rien, ou presque : ça se limite à « instaurer le port d’un uniforme à l’école », en espérant sans doute que l’habit fera le moine, et chez Fillon, qui a dû se dire que l'uniforme, c'était un peu juste, quand même, à « instaurer une évaluation du comportement de l’élève au collège afin de prendre en compte l’assiduité en classe, le respect des règles de l’établissement, le respect des autres et d’abord des professeurs et éducateurs, la politesse, l’attention aux élèves malades ou handicapés, la prise de responsabilité. » Allez, tout le monde en uniforme, et une paperasse en plus pour « évaluer les comportements » des collégiens. Avec ça, pas de doute, l’autorité va être mieux restaurée qu’une toile de maitre.

On a, il y a peu, dit ici-même comme l’autorité est aussi complexe de l’intérieur du métier d’enseignant qu’elle peut paraitre simple de l’extérieur (il suffit de l’imposer, voyons !), qu’elle ne se décrète pas, ne se restaure pas, elle s’instaure, elle se construit, par l’enseignant dans sa classe et en équipe. Répétons-nous : il ne faut pas être dupe, quand un politicien, surtout un candidat, parle de restauration de l’autorité, c’est en idéologue qu’il parle, en calculateur et en ignare des choses de l’enseignement. Promettre l’autorité, faire de sa restauration le cœur de sa proposition éducative, en campagne présidentielle, est bien pratique pour un candidat : d’une part, l’opinion publique sera d’accord avec lui, d’autre part c’est plus facile que de promettre la baisse du nombre d’élèves par classe ou de financer la formation continue des profs. Et puis ça ne coûte pas un sou, c’est pratique, pour ça, les mots.

Absurdités et curiosités programmatiques

La lecture de certains programmes, ou de certaines parties de programmes, laisse assez songeur. J’ai dû relire plusieurs fois celui de Jean Lasalle (chose faite assez rapidement, fort heureusement) pour bien percevoir la logique. On comprend bien que le candidat au bel accent rocailleux veut éviter aux élèves « le risque de rester sur les rails de la conformité », qu'il veut « leur donner les matériaux de leur orientation », qu’il souhaite les « préparer à un métier », mais quand il parle (et c’est à peu près tout) de « maîtriser profondément Internet et les outils de communication » dans le même temps qu’il préconise la « découverte du travail de la ferme dès l’enfance, l’alternance bien avant seize ans, les classes spécialisées pour les artistes ou les sportifs » on a un peu de mal à suivre. Internet, travaux des champs, arts, sport, dis donc Jeannot, et les fondamentaux dans tout ça ? Tu vas nous fâcher les autres !

Il y a aussi cette incongruité, dans le programme d’Emmanuel Macron. Souvenez-vous, plus haut on lui demandait de préciser ses propos un peu confus (pré-scolaire, maternelle, primaire). Et bien figurez-vous que son programme éducation commence par… la crèche.  « Objectif 1 : faire de la crèche un instrument de la lutte contre les inégalités ». Les propositions qui suivent ne sont pas inintéressantes, mais après avoir vérifié que j’étais bien dans le volet éducation, je suis allé voir s’il y avait un volet famille et société : il y en a bien un. Alors pourquoi mettre la crèche avec l’école ? Comment veux-tu, Manu, que le prochain ministre de l’éducation de ne rejoue pas le coup des instits qui changent les couches en maternelle ? On croit comprendre la logique macronienne : puisque « les bienfaits de la crèche sur la socialisation, l’éveil et le développement du langage des jeunes enfants sont reconnus », on est déjà dans l’enseignement. Bon.

Mais le champion toutes catégories, celui qui n’en rate pas une, est Nicolas Dupont-Aignan. Pour faire sérieux, pas comme ce cancre de Jean Lasalle, on va tartiner des pages, sur l’éducation, s’est-il dit. Alors il propose à tout-va, et tant pis si ce qu’il propose est déjà en place. « Eveiller les enfants à la connaissance du patrimoine national et à l’art dès l’école primaire, par un enseignement adapté » : les arts visuels, l’histoire des arts, y compris l’architecture, la sculpture existent déjà dans les programmes, on a d'ailleurs du mal à tout faire, parfois on préfère même se concentrer sur les fondamentaux (c’est quoi, au fait, un enseignement adapté, ça s’applique aussi ailleurs ou c’est juste pour l’art ?). Chantre de la restauration de l’autorité, NDA ne se contente pas d’uniforme, lui, il appelle à « réintroduire l’apprentissage de la Marseillaise et des symboles de la République dans les écoles et les collèges ». Là aussi, on conseillera la lecture des programmes actuels d’éducation morale et civique, qui parlent notamment d’« identifier les symboles de la République présents dans l’école, connaitre les valeurs et reconnaitre les symboles de la République française : le drapeau, l’hymne nationale, les monuments, la fête nationale », des programmes d'EMC bien chargés qui fort heureusement vont bien plus loin que les symboles (droits de l’homme et du citoyen, notion de bien commun dans la classe, dans l’école et dans la société, droits et devoirs de l’enfant, du citoyen…).

NDA aimerait « repérer dès le départ les enfants en maternelle ayant besoins d’apprentissages supplémentaires et leur dispenser ces apprentissages », les instits de maternelle apprécieront, eux dont c’est l’une des priorités (au passage, on dirait bien que certains chez NDA ont besoin d'apprentissages supplémentaires en orthographe, au moins en relecture). NDA souhaite « encourager l’apprentissage de la lecture par la méthode alpha-syllabique et l’usage du boulier pour se représenter mentalement les quantités tout en laissant une marge à l’enseignant au titre de la liberté pédagogique », ce qu’on pourrait traduire par « voilà ce que vous devez faire en toute liberté pédagogique ». Enfin, NDA entend « revaloriser le traitement des enseignants pour l’aligner sur celui des enseignants luxembourgeois et allemands (proposer 2000 € en début de carrière) ». J’ai sauté de joie en lisant cette proposition, qui a emporté mon adhésion : c’est décidé, je voterai Nicolas Dupont-Aignan, en espérant qu’il tiendra sa promesse, vu qu’un instit allemand touche 50000$ en début de carrière, un instit luxembourgeois 66000$, un instit français 26.000$ (chiffres OCDE). Bon, c’est un peu plus de 2000 € par mois, mais il ne fallait pas promettre d’aligner les salaires. C’est dit, c’est dit.

Nota : sur les fondamentaux, on pourra relire ce post. Sur l'autorité, celui-ci.

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