Face à la désinformation : resserrer les liens entre familles et école

Après l’offensive portée contre l’école cette semaine, nombre de ses acteurs se retrouvent avec une bonne gueule de bois. Les directeurs, les enseignants, en première ligne, particulièrement les témoins directs, mais aussi des parents d’élèves, pris à parti et menacés, sans parler des enfants, forcément impactés par la prise en otage d’une frange tout à fait minime mais organisée et bruyante.

La plupart n’a pas vu le coup venir. Les signes précurseurs existaient mais personne, pas un parent sensé, par un enseignant, n’aurait pu imaginer de telles rumeurs, une telle énormité. Pensez donc : des cours de masturbation, des garçons forcés de mettre des robes, des démonstrations de baiser homosexuel… Quand j’y repense, j’hésite entre l’éclat de rire – tant c’est grotesque et ridicule ! – et l’atterrement – car certains y ont cru, malgré tout.

Ce devrait pourtant être clair : pas un enseignant n’accepterait le quart de la moitié du début du commencement de tout ceci ! L’incroyable dans cette affaire est bien que certains parents aient pu penser une seconde que cela était possible, concevable. Que des gens puisse imaginer que des instits vont entraîner leurs élèves à la masturbation ou les forcer à s’habiller en robe me laisse sans voix : ils pensent donc que nous sommes capables de faire, de manière programmée et en toute connaissance de cause, du mal à leurs enfants. Depuis lundi, je me demande pourquoi. Pourquoi et comment certains ont pu croire l’incroyable.

Cet interstice dans lequel s’engouffre la rumeur

Mettons de côté le talent manipulateur des auteurs, la viralité des moyens de communication actuels. Mettons de côté le contexte sociétal, idéologique et moral(e) de ce pays. Mettons également de côté la crédulité et le manque de repères et de discernement de certaines cibles. Que certains parents aient pu être inquiets peut se comprendre vu ce qu’on leur annonçait, mais que cette inquiétude ait tourné aigre implique nécessairement que ces parents n’aient pas eu de rapport direct avec l’école de leurs enfants. Certes il y a ceux, déjà loin, partis en croisade, qu’aucune discussion ne rattrapera jamais. Mais il y a tous ces autres, dont je ne peux douter un instant qu’une bonne discussion avec les enseignants ne les auraient rassurés ; ceux qui, si l’information, la bonne, était arrivée jusqu’à eux, n’auraient pas donné de crédit aux dires délirants.

Il apparaît en creux de cette affaire que l’école a laissé, d’une manière ou d’une autre, la place, l’interstice, un espace d’incertitude dans lequel s’est engouffrée la rumeur. Un espace institutionnel, un espace communicationnel, un espace relationnel. La leçon de cette affaire, c’est que l’école doit absolument resserrer les liens avec les familles.

Des programmes transparents, une communication limpide

L’un des arguments utilisés par la rumeur est le changement à venir des programmes – avec son lot de déviances quasi-démoniaques. Avec tous les changements de programmes, depuis quelques décennies, il peut être difficile pour un parent (qui n’a pas grandi ni appris dans le même monde ses enfants) de s’y retrouver : que fait-on à l’école, en fin de compte ? Qu’apprennent vraiment les enfants ? De l’extérieur – parfois aussi de l’intérieur – une  certaine dérive de « l’éducation à » (éducation aux premiers secours, éducation au permis piéton…) semble caractériser les programmes scolaires, l’école est chargée d’éduquer à tout et la multiplication des objectifs qui lui sont assignés nuit à la lisibilité de ses actions essentielles. Les programmes doivent cesser de changer tout le temps, à chaque ministre, il faut un consensus général et qu’on n’y touche plus qu’à la marge. Il faut ensuite porter ses programmes à la connaissance du plus grand nombre, que tout le monde sache ce que l’école de la République apprend à ses enfants. Quand elle décide de mener une campagne précise et ciblée, par exemple sur l’importance de l’égalité citoyenne entre les filles et les garçons, l’école doit communiquer davantage, de manière plus claire, plus offensive, moins compassée, plus "grand public", et utiliser les moyens adaptés – campagne TV, affichage, pages web, etc. C’est peut-être regrettable, on aimerait que l’école inspire naturellement la confiance, mais force est de constater que ce n’est plus le cas. Alors, sans état d’âme, il faut communiquer, avec force, pour amener l’information jusqu’aux oreilles les moins averties, lesquelles ne seront plus disponibles pour la désinformation – sauf si, bien sûr, elles sont prêtes à croire l’incroyable.

Des parents associés à la vie de l’école

Il semblerait que dans les écoles où les parents inquiets sont venus discuter, se renseigner, rencontrer l’équipe enseignante, notamment la direction, la rumeur se soit quasiment éteinte d’elle-même. Les parents inquiets se sont généralement rendu compte que les enseignants tombaient des nues et que rien ne permettait dans les faits, sur le terrain, d’accréditer la rumeur. Mais il ne suffit pas que les principaux élus de parents d’élèves se renseignent et propagent l’information, il faut que les parents d’élèves dans leur ensemble soient plus fortement associés à la vie de l’école. Cela passe par une attitude volontariste de cette dernière, qui a tout à gagner de relations plus étroites avec les familles. A chaque école d’inventer ses solutions en fonction du public qu’elle accueille, cela peut prendre la forme de fêtes, de spectacles, de manifestations préparés de concert, instits, élèves et familles main dans la main, de parents mis à contribution dans différents aspects du quotidien de l’école – rencontres autour de thèmes, participation active sous forme d’intervention dans les classes, en sorties, demi-journée parent-enfant en début d’année…  –, d’ateliers d’accompagnement aux devoirs en présence des parents volontaires, voire d’alphabétisation au sein même de l’école, le soir, etc. Il faut de la vie, des projets communs, il faut de la dynamique collective : tout ce qui peut créer du lien, des rapports sains et répétés, ira toujours dans le sens de l’école. Ne resteront alors à la marge que ceux qui le souhaitent, ils s’excluront d’eux-mêmes de la communauté éducative.

L’action des directeurs et directrices est ici décisive : ce sont eux qui peuvent donner le ton, l’élan, faire le lien, créer du liant, entre l’école et les familles, entre les familles et les enseignants, aussi. L’école française se méfie traditionnellement des familles, a peur de la confusion des rôles, de l’intrusion, mais en laissant trop souvent les familles à la porte de l’école, elle s’est parfois coupée d’elles, laissant se creuser ce fameux interstice.

Des équipes enseignantes stables et disponibles, soutenues par la hiérarchie

Dans mon école, comme dans la plupart des écoles du pays, il ne s’est rien passé lundi. Pas d’absence suspecte, pas de remous (disons-le une fois de plus : une infime minorité de parents ont retiré une infime minorité d’enfants, mais cela s’est fait de manière ciblée, spectaculaire, exagérément relayée par les médias). Il me semble que si la rumeur est arrivée aux oreilles de certains parents de mon école, si certains, inquiets, ont envisagé la chose, ils ont, à un moment ou un autre réfléchi aux interlocuteurs qui sont les leurs à l’école : les instits en place. Des instits qu’ils connaissent depuis un certain temps parce que l’équipe est stable, avec qui ils communiquent, régulièrement, encadrés par une direction très présente et attentive. Autrement dit, une relation de confiance est installée qui constitue le meilleur pare-feu.

Bien sûr il ne faut pas en déduire que, dans les écoles où le taux d’absences était important lundi, la direction ou les enseignants ont manqué à leurs devoirs : il était difficile à certains endroits de résister à l’attaque, venue de loin et parfaitement préparée. Mais on sait que parmi les écoles cibles qui ont essuyé un fort taux d’absences, figurent un certain nombre  d’écoles classées sensibles, où les équipes ne sont pas très stables et l’investissement de chacun forcément aléatoire.

Stabilité des enseignants, cohésion de l’équipe, mais aussi disponibilité. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à multiplier les réunions avec les parents, ne pas se contenter de celle de début d’année (décisive, on y présente les programmes, notamment…) ou des rencontres individuelles : à chaque enseignant de créer les conditions d’un dialogue véritable, d’une confiance réelle, avec les parents (cela passe aussi, par exemple, par l’exposé, dans l’année, du travail fait par les enfants).

Un certain nombre d’heures est institutionnellement consacré à cette mission, qui fait partie de notre métier mais doit dépasser la contrainte. Il faut lui donner plus de poids encore et augmenter ce volume horaire. La hiérarchie doit aussi se montrer plus présente dans le dialogue avec les familles. On regrette que des Inspecteurs aient fait profil bas devant la détresse et le désarroi d’enseignants confrontés à la rumeur, les invitant plus ou moins à se débrouiller seuls. Le ministre a envoyé jeudi un courrier aux directeurs afin de leur demander de convoquer les familles ayant retiré leur enfant : cela ne suffit pas, d’abord parce qu’il faut accueillir les familles en amont, pas uniquement pour les rappeler à l’ordre ; ensuite parce qu’il faut soutenir les enseignants autrement qu’avec une lettre de soutien, être plus réactif et leur donner les clés (il aurait fallu qu’une note de synthèse présentant la situation, les sources de la rumeur, les réponses logiques à apporter, soit portée aux enseignants en première ligne), et l’Inspecteur doit être plus présent, prendre si nécessaire la responsabilité de réunions d’informations.

… Il est d’autant plus urgent de réfléchir à des solutions pratiques, à tous les niveaux, particulièrement les plus hauts, que cette première attaque contre l’école n’est vraisemblablement pas la dernière : le but des auteurs de la JRE est le long terme…

 

Nota : on pourra prolonger ce billet par la lecture de quelques autres sur le même sujet :

- en premier lieu, la tribune de Jean-Louis Auduc sur le Café Pédagogique : cet ancien directeur d'IUFM constate les lacunes en terme de formation des enseignants et donne "dix conseils pratiques pour bien gérer les relations parents-enseignants".

- l’interview sur LeMonde.fr de François Dubet, sociologue, pour qui "l'école ne sait pas travailler avec les familles" et qui pense lui aussi que "quand il y a a vacance d'information la rumeur s'en saisit".

- le billet de Jean-Michel Zakhartchouk, sur educpros.fr, qui parle d'un "dialogue indispensable et qui s'apprend".

- et aussi cette analyse d'un spécialiste du web, qui décortique la méthode employée...

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