Devoir d'éducation, droit de correction ?

Quelques mois après le retrait de la proposition de loi sur la famille d’un amendement « anti-fessée » proposé dans un premier temps par certains parlementaires, le gouvernement, qui s'était engagé à cette occasion à "reprendre la discussion" à ce sujet dans le cadre de l'examen d'une proposition de loi ultérieure, annonce souhaiter amorcer une grande réflexion en vue d’aboutir à une éducation sans violence.

L’amendement en question prévoyait que « Les titulaires de l'autorité parentale ne peuvent user de châtiments corporels ou de violences physiques à l'égard de l'enfant ». Madame Laurence Rossignol, secrétaire d’État en charge de la famille, a précisé à cet égard : "Quand on voit un homme battre sa femme, tout le monde intervient ; si on voit deux adultes qui se battent, on va essayer de les séparer ; si on voit quelqu'un qui martyrise un animal, on va intervenir et, en fin de compte, les seuls êtres vivants que l'on peut frapper sans justifier que l'on puisse intervenir, ce sont les enfants."

La France serait donc, selon les députés et l’exécutif, un pays des plus archaïques puisque toute personne serait protégée des violences dont elle pourrait être victime à l’exception des enfants, dont les parents bénéficieraient d’un droit de correction ou d’une exception éducative.

Il convient de rappeler que l’article 222-13 du code pénal dispose que « Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises (…) Sur un mineur de quinze ans ».

La loi actuellement applicable en la matière n’accorde donc aucune indulgence particulière aux auteurs de violences sur enfants puisqu’au contraire, elle sanctionne toute violence commise sur un mineur et érige en circonstance aggravante le jeune âge de la victime.

La jurisprudence, en revanche, a pu dans certaines hypothèses admettre un "droit de correction", sans que l’on (ou du moins, que je) puisse dégager de principes cohérents et communs à l’ensemble des décisions rendues.

Ainsi, une cour d’appel a relaxé un père qui avait donné des coups de baguette et un coup de pied aux fesses de son fils en précisant que "la possibilité est donnée à tout parent d'user d'une force mesurée et appropriée à l'attitude et l'âge de leur enfant du moment que cela n'a pas de conséquence corporelle ou psychique pour celui-ci, cette possibilité s'inscrivant dans le cadre de l'obligation éducative des parents ».

Une autre Cour d’appel avait au contraire condamné une femme du chef de violences volontaires pour avoir donné une gifle à sa fille rencontrée dans la rue, vers minuit. Et à titre plus quotidien, chaque juge des enfants français traite en permanence plusieurs dizaines de dossiers d’enfants ayant subi diverses formes de violence parentale dont ils ont précisément été saisis pour ce motif, les père et mère ayant ou non été poursuivis devant les juridictions correctionnelles en fonction de la gravité des faits commis.

De façon générale, les magistrats semblent considérer que certains seuils ne sauraient être franchis et que la nature même de la violence doit être prise en compte. Ainsi des violences habituelles sur un mineur, qui sont d’ailleurs spécifiquement réprimées par le code pénal (article 222-14) ou une quelconque violence, même légère, qui serait contraire à la dignité de l’enfant ne sont jamais admises.

Les accords internationaux liant la France vont dans ce sens puisque la Convention relative aux droits de l'enfant dispose expressément que les États doivent protéger la dignité de l'enfant ; la Cour européenne des droits de l'homme a quant à elle retenu que "trois coups de chaussure de gymnastique à semelle caoutchouc sur le derrière, par-dessus le short" sur un enfant de sept ans ne pouvaient pas être considérés comme dégradants, dans la mesure où cet acte n’emportait pas avilissement de l’enfant.

En définitive, contrairement à ce que semble avancer Mme Rossignol, la loi telle qu’elle est actuellement applicable et appliquée permet une protection adaptée de l’enfant, notamment dans le cadre des violences « éducatives » (si tant est que ces deux notions puissent être valablement rapprochées et à titre personnel, j'en doute sérieusement), la jurisprudence adaptant la répression à chaque cas d’espèce qui lui est soumis.

Si une réflexion collective peut éventuellement permettre de limiter les violences commises sur les enfants dans le cadre éducatif par une sensibilisation des adultes, une nouvelle loi apparaîtrait parfaitement superflue en la matière. Réfléchissons donc ensemble, ne légiférons pas !