Affaire Bonnemaison : un acquittement conforme à la loi pénale

Dans le courant du mois de juin, la cour d’assises de Pau s’est penchée sur le sort du docteur Bonnemaison, accusé de sept empoisonnements de patients âgés en fin de vie pour leur avoir injecté des produits sédatifs ayant entrainé leur décès. Le verdict rendu le mercredi 25 juin a prononcé l’acquittement de l’accusé concernant l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés.

L'ex-urgentiste de Bayonne Nicolas Bonnemaison à son arrivée au tribunal de Pau (Pyrénées-Atlantiques), le 11 juin 2014.

Bien avant l’annonce du verdict, il était prévisible que quelle que soit la décision rendue, les tenants ou les opposants à l’euthanasie brandiraient le verdict comme un appel au législateur afin que la législation en la matière soit assouplie ou au contraire affermie, bien que l’accusé ait lui-même précisé en cours d’audience que l’euthanasie n’était pas son combat : « Mon rôle ce n'est pas de précipiter les décès, ni de libérer des lits. C'est de soulager les patients. De faire en sorte qu'ils ne souffrent pas ».

Pourtant la cour d’assises, dans la motivation de son arrêt, évite les écueils qui auraient pu se présenter à elle et rend une décision qui m’apparaît parfaitement conforme aux dispositions légales en vigueur.

La cour d’assises a ainsi considéré dans sa motivation que "Nicolas Bonnemaison a agi dans le contexte bien spécifique de l'unité hospitalière de courte durée (UHCD) de Bayonne, où il avait en charge des patients en fin de vie très âgés pour la plupart, atteints d'affections graves et reconnues comme incurables, pour lesquels les traitements avaient été arrêtés préalablement et conformément à la loi. Estimant de bonne foi que ses patients souffraient physiquement et psychiquement, il a procédé à l'injection, dans cinq cas, d'Hypnovel, en recherchant une sédation des patients, sans qu'il soit établi par les débats que ces sédations avaient pour but le décès des patients".

Bien que reconnaissant que "Nicolas Bonnemaison a procédé lui-même à des injections, qu'il n'en a pas informé l'équipe soignante, qu'il n'a pas renseigné le dossier médical de ses patients et qu'il n'a pas informé les familles à chaque fois", la cour a considéré qu’il n’était pas établi « qu'en procédant à ces injections il avait l'intention de donner la mort à ses patients au sens » des dispositions pénales relatives au crime d’empoisonnement.

Concernant le Norcuron, un curare qui n’a été utilisé que dans l'un des cas ayant fait l'objet de l'instruction criminelle par le médecin selon la cour d’assises, la juridiction a estimé que "son utilisation, bien que non recommandée en phase de sédation terminale, était néanmoins controversée. En tout état de cause, la cour et le jury ont relevé là aussi que l'intention homicide du praticien n'était pas établie."

La motivation adoptée par la cour d’assises doit être rapprochée de l’article 221-5 du code pénal qui précise que « Le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. »

Cette infraction est bien spécifique en ce qu’elle se distingue principalement des autres atteintes volontaires à la vie humaine, notamment du meurtre, par le moyen employé, puisqu’elle nécessite l’utilisation d’une substance mortifère, quelle qu’elle soit. Ainsi, les juridictions pénales ont pu qualifier d’empoisonnement l’exposition à des gaz toxiques, l’inoculation d’un virus ou l’exposition à des substances radioactives, que l’effet intervienne à cour terme ou à long terme (l’absorption répétée de plomb entraînant le décès est constitutive d’un empoisonnement).

En l’occurrence, l’injection d’Hypnovel, un produit sédatif, n’est pas en soi nécessairement mortelle. La question du bien-fondé de la qualification d’empoisonnement se posait donc. Quant au Norcuron, ainsi qu’a pu le souligner sur Twitter le médecin anesthésiste-réanimateur @JohnO2Snow (dans une série de tweets éclairants que vous pourrez retrouver sous le hashtag #FinCurares), « l’idée qu’on se fait a priori d’un produit ne vaut pas intention ». Autrement dit, bien que son nom revête généralement une connotation très particulière (y compris à mes oreilles profanes, grâce notamment à Tintin et aux fléchettes empoisonnées des Arumbayas), le curare est généralement employé à des fins myorelaxantes et son utilisation ne caractérise pas en soi l’intention homicide.

La cour de cassation a toutefois retenu qu’il convenait, pour apprécier l'effet mortifère d'une substance, de tenir compte des circonstances et conditions dans lesquelles elle avait été administrée. Ainsi un produit identique, inoculé de différentes manières à plusieurs personnes, peut provoquer la mort de certaines d'entre elles tout en en laissant survivre d’autres. L’empoisonnement sera donc retenu dans les hypothèses où le produit a été administré de façon à être mortel.

Absence d’intention de tuer

Ce n’est toutefois pas l’absence de caractère nécessairement mortel des produits utilisé par le médecin qui a été retenu par la juridiction pour écarter sa culpabilité, mais l’absence d’intention de tuer de celui-ci.

En effet, selon la cour de cassation, pour qu’une personne soit déclarée coupable d’empoisonnement, il convient que les juridictions saisies constatent non seulement que l’accusé connaissait le caractère mortel des produits utilisés, mais également qu’il ait eu l’intention de tuer. Faute de caractériser cette intention, aucune déclaration de culpabilité ne peut être effectuée.

Au cours du procès, le docteur Bonnemaison a toujours précisé que les injections qu’il avait effectuées avaient eu pour objectif de soulager les souffrances des patients par un processus de sédation et non de leur donner la mort.

Dans la mesure où les produits injectés par l'accusé n’étaient pas nécessairement mortels, où le médecin a agi seul et où les faits n’ont eu aucun témoin direct, l’intention homicide ne pouvait en l'espèce qu’être extrêmement difficile à démontrer.

La formulation utilisée dans l’arrêt criminel est sur ce point particulièrement claire puisque la cour et le jury retiennent qu’il n’est pas établi que le docteur Bonnemaison ait eu l’intention de tuer les patients.

La décision de la cour d’assises ainsi motivée fait donc une exacte application du droit pénal en vigueur, sans seulement aborder la question de l'euthanasie - qui ne lui était pas posée.