Carnaval de Rio entre mixité et élitisme

A Rio, les défiliés du Sambodrome ne sont pas accessible à tout le monde.

Sur les chars et dans le défilé, toutes les couleurs de peau, tous les âges, toutes les classes sociales et toutes les morphologies sont confondus dans la joie et la samba. Demandez à n'importe quel Brésilien, il vous dira que le Carnaval est le moment de l'année où l'on oublie tous les problèmes et où l'on prône la mixité. Malheureusement, cela ne se vérifie pas dans les gradins.

Badges de différentes couleurs, tee-shirts à la gloire des partenaires, pour les spectateurs du Sambodrome, le mélange n'est pas roi. Ce n'est pas pour déplaire à Fernando et Lucia. Pour profiter du "plus grand spectacle du monde" ils choisissent toujours les places appelées les "camarotes". Ces dernières sont les places de grand luxe. Impossible à envisager pour la grande majorité des Brésiliens, elles disposent du plus grand confort. Bonne visibilité, nourriture et boisson à volonté, tout y est. "On est conscient qu'il y a ici plus de pouvoir d'achat au mètre carré que partout ailleurs. Mais c'est agréable de sentir qu'autour de soi, c'est élitiste", explique Fernando. "Cela fait plus de dix ans que nous sommes invités par nos partenaires dans ces places. On a même défilé pas mal de fois. C'est toujours un grand bonheur", complète Lucia. Le couple travaille et possède des restaurants, leurs fournisseurs disposent de camarotes entiers à leur effigie. Ces grandes entreprises incitent leurs partenaires à acheter des places dans leurs tribunes privées. C'est ce qu'ont fait Fernando et Lucia  pour la somme de 12 500 reais la nuit, par personne [ndlr : 2 800 euros par p/nuit]. Et à présent, ils portent fièrement le tee-shirt rouge de la société brésilienne. 

Fernando et Lucia, ravis de leur camarote.

Fernando et Lucia, ravis de leur "camarote".

Non loin de là, Carolina, elle aussi dans son haut rouge, discute devant la discothèque réservée aux camarotes. A 19 ans, la jeune mannequin a également été invitée par son agence. "Je sais que le Carnaval symbolise le rassemblement, alors oui, je pense que les places ne devraient pas être organisées comme cela. Mais nous vivons dans une société capitaliste, ce sera toujours ainsi." Le fatalisme de la jeune femme est partagé par presque tous les Brésiliens. "Evidemment, j'apprécie le confort de ma tribune aujourd'hui... mais je n'aurais rien contre revenir au Sambodrome en classe populaire. Le spectacle doit être fantastique en tous les cas", sourit-elle.

Toute une organisation 

 


Plan des places au sein du Sambodrome D.R

Le Sambodrome a quatre types de places, les tribunes, les places réservées, les loges et, dans celles-ci les sièges alloués, et finalement les suites de luxes, "camarotes". Dans les loges, appelées "frisa", juste sous les camarotes, l'ambiance est encore différente. On y vient en famille ou avec un vieux groupe d'amis. A deux pas de la piste, la famille d'Angela fatigue un peu au milieu de la nuit. La maman de 52 ans, quant à elle, danse sans relâche. "Je suis très contente d'être ici, je viens de São Paulo et c'est la première fois qu'on assiste au grand carnaval de Rio", dit-elle entre deux pas de samba. La famille a fait le déplacement pour deux jours et la nuit au Sambodrome. Pas le temps de la visite, ils reviendront une autre fois. Pour les 4500 reais [ndlr : plus de 1000 euros] dépensés, les six membres de la famille ont leur box privé. "Je pense qu'autour de nous ce sont des gens normaux, la classe moyenne en somme. J'ai même croisé une amie tout à l'heure", répond-t-elle au sujet de sa place.

 

Angela, son mari, ses deux fils et leur oncle et tante profite de leur box en Frisa.

Angela, son mari, ses deux fils et leur oncle et tante profitent de leur box en Frisa.

Les heureux locataires des camarotes ou même ceux des frisas, ne s'aperçoivent pas qu'au dessus d'eux, de nombreuses personnes s'agglutinent sur le pont qui surplombe le Sambodrome. Ces personnes, ce sont celles qui n'ont pas les moyens d'acheter un billet, mais qui, malgré tout, tentent d'assister au spectacle (voir la photo de une). C'est un autre monde qui se joue à l'extérieur du Sambodrome, un tout autre visage du Carnaval. Et la couleur de peau fonce un peu plus que le prix des entrées baisse...

A savoir que les places les plus populaires, c'est-à-dire les tribunes, sont accessibles entre 50 et 100 reais [ndlr : entre 11 et 22 euros ]. Le marché parallèle peut proposer des prix plus avantageux au dernier moment, mais ce tarif reste important pour les Brésiliens. Les tribunes n'offrent pas la meilleure vue du défilé mais l'ambiance entre chants et drapeaux séduit ses spectateurs. Cela n'est pas sans rappeler les gradins de supporters lors d'un grand match de foot.

Alors que le Sambodrome a, cette année, battu son record d'affluence pour les deux soirs de défilé des écoles de samba, des questions se posent quant à la réelle mixité sociale durant le Carnaval. Comptant parmi les pays les plus inégaux du monde, le Brésil joue sur la carte du luxe pour attirer les riches touristes (nationaux comme internationaux) pour le Carnaval.

 

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Fanny Lothaire, Anne-Flore Roulette et Marie Gentric