Le journaliste franco-tunisien Béchir Ben Yahmed, patron du groupe Jeune Afrique, se montre très pessimiste sur l’évolution de la situation en Tunisie dans un article mis en ligne le 23 novembre 2017 sur le site de l’hebdomadaire. A son avis, deux pays africains sont «au bord de l’explosion» : la Tunisie et l’Afrique du Sud. Motif: les chiffres économiques «affolants» de ces deux pays, «annonciateurs d’une crise grave».
On ne s’occupera ici que de la Tunisie. D’autant, explique l’éditorialiste, que les chiffres de ce pays «sont les plus alarmants».
«Le commerce extérieur va plus mal que jamais, le montant des exportations ne représentant plus que 62,7% de celui des importations, contre 75,1% en 2011. Le déficit du commerce extérieur pour 2017 s’élèvera à 15 milliards de dinars (plus de 5 milliards d’euros)», écrit Béchir Ben Yahmed. De fait, la balance commerciale tunisienne est «structurellement déficitaire», selon une note du gouvernement français. Et le déficit s’aggrave : en octobre 2017, il atteignait 12,21 milliards de dinars (4,11 milliards d’euros), contre 10,07 (3,36 milliards d’euros) en août.
Même si le tourisme est reparti (les visiteurs étrangers reviennent), les recettes n’auraient guère augmenté. La hausse des prix est importante. L’éditorialiste écrit qu’elle «s’établira à 12 % en taux annuel». Notons cependant que l’indice des prix à la consommation familiale, fourni par l’Institut national des statistiques (INS) de la Tunisie, fait état, lui, d’un chiffre moins inquiétant : 5,8%.
Côté monétaire, le dinar continue sa descente aux enfers. En 2017, la devise tunisienne aura perdu «plus de 25% de sa valeur par rapport à l’euro», poursuit l’éditorialiste. Conséquence : «les produits importés et les matières premières sont plus chers», observe Radio France Internationale. «La Tunisie a de moins en moins de ressources, de moins en moins de réserves en devises», constate l’économiste Mahmoud Ben Romdhane interviewé par RFI. Et d’ajouter : «Si la Banque centrale ne laissait pas la monnaie se déprécier, elle serait face à un assèchement de ses réserves en devises et ne pourrait plus payer sa dette ni les importations que le pays effectue».
La Tunisie «dans un cercle vicieux»
Autre talon d’Achille de la Tunisie, relève Béchir Ben Yahmed : la dette extérieure. Laquelle «devient de plus en plus lourde à porter». Son service «absorbera, à lui seul, en 2017, plus de 6% du PIB et 20% des exportations de marchandises», écrit le responsable de Jeune Afrique. De fait, cité par La Tribune, le ministre tunisien du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Fadhel Abdelkafi, rapportait en juillet que le taux d’endettement du pays dépassait la barre des 75%.
«Une situation alarmante qui accentue la dépendance de l'Etat tunisien aux emprunts sur le marché international», commente le site économique français. Notamment vis-à-vis de l’UE qui peut ainsi «imposer au gouvernement tunisien un programme de réformes économiques en accord avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a apporté en 2016 un soutien financier de 640 millions d'euros à la Tunisie.»
L’éditorialiste de Jeune Afrique note aussi que «les investissements nationaux et étrangers brillent par leur absence et que la productivité régresse». N’en jetez plus !
Bref, la situation est tout sauf rose. «La Tunisie est prise dans un cercle vicieux dont son gouvernement se révèle incapable de l’en sortir», estime Béchir Ben Yahmed. Rapportant, non sans une certaine cruauté, les propos (tirés d’une interview au journal suisse La Tribune de Genève) du confondateur du parti islamiste Ennahda, Abdelfattah Mourou : «Un pays qui est dirigé par un président qui a 91 ans, allié à Rached Ghannouchi, qui en a 76, est-il vraiment stable ?».
On pourrait lui rétorquer que la Tunisie danse sur un volcan depuis la révolution de janvier 2011, avec de graves éruptions de temps à autre, entre crises gouvernementales, assassinats politiques, attentats terroristes… Une situation qui perdure donc depuis presque sept ans! Dans son interview à La Tribune de Genève, Abdelfattah Mourou ajoute : «Si l’on compare la situation de notre pays à celle de la Libye, de l’Egypte, du Yémen ou de la Syrie, nous nous en sortons plutôt bien. Mais je crois que nous aurons encore besoin de dix années pour avoir des institutions solides.» Autrement dit, l’inéluctable n’est pas forcément à venir…