A Tunis, certaines peuvent à la fois s’investir dans le secteur associatif (Association tunisienne des femmes démocrates, Ligue des droits de l’homme), figurer sur une liste électorale… et diriger un théâtre. Tout en étant une ancienne journaliste ! C’est le cas de Zeyneb Fehrat, 53 ans, qui préside avec son époux, le comédien Taoufik Jebali, aux destinées d’El Teatro, à la fois théâtre, galerie d’art, atelier de formation artistique et lieu de rencontre. (Publié le 18-10-2011)
La diversité culturelle, c’est un peu la raison d’être d’El Teatro. «C’est aussi un espace de libre échange», précise le responsable des relations presse. Ainsi, du 27 septembre au 12 octobre dernier, sa directrice y a organisé Les F… Respectueuses (histoire de paraphraser Sartre), «rencontre des libres-penseuses laïques en arts et lettres dans le monde arabe et l’espace euro-méditerranéen» ! Libre dans sa tête, Zeyneb Ferhat n’hésite pas à vitupérer contre Ennadha, le parti islamiste, qu’elle qualifie sans ambages de mouvement d’«extrême droite».
«Sans projet culturel, il n’y a pas d’Etat démocratique», explique-t-elle. Pour elle, la culture contribue à «déterminer l’orientation socio-économique» d’un pays. «Mettre un ordinateur devant chaque enfant, c’est un projet à la fois politique et industriel. Car on décide que l’informatique est un élément important pour l’éducation. Mais de cette façon, on fait aussi fonctionner l’industrie !»
A écouter cette ancienne journaliste, on comprend que la Tunisie n’est pas à un paradoxe près. Notamment parce que ce sont les régimes autoritaires précédents, celui de Bourguiba d’abord puis celui de Ben Ali, qui ont contribué à édifier les infrastructures culturelles que l’on trouve aujourd’hui dans le pays. «Bourguiba [le « père » de la Tunisie moderne, NDLR] voulait encadrer la culture pour faire taire toute velléité de contestation. Pour ce faire, suivant le modèle socialiste, il a crée un réseau très dense de MJC qui a survécu. Quant à Ben Ali, c’était un voyou inculte. Mais il a décidé de construire de nombreux complexes culturels même dans les endroits les plus excentrés. Sans d’ailleurs penser à former le personnel nécessaire. Pour lui, c’était un moyen de se sucrer !». Mais ces institutions lui survivent. Paradoxe…
Pas de compromis avec la dictature
El Teatro, lui, est né le 5 octobre 1987, un mois et deux jours avant l’arrivée au pouvoir de Ben Ali. «Le centre a été l’institution la plus censurée, comme Taoufik Jebali a été l’artiste le plus censuré», constate Zeyneb Ferhat.
Le couple s’est toujours refusé à faire des compromis vis-à-vis de la dictature. «On nous a souvent dit : ‘Qu’est-ce que vous avez été chiants !’ En fait, on a pu louvoyer. Sur scène, nous nous efforcions de faire ressortir l’humanité du quotidien».
Aujourd’hui, la dictature n’existe plus. Mais les risques politiques n’ont pas disparu pour autant… A El Teatro, on refuse, comme toujours de baisser les bras. «En mars, nous avons été attaqués par des salafistes. Le soir même, avec des amis, nous rédigions un manifeste pour une nouvelle société». Et d’évoquer la manifestation violente des militants islamistes extrémistes à Tunis du 14 octobre dernier. «Ce qu’on ne sait pas, c’est que le surlendemain, il y a eu une manifestation deux fois plus importante contre cette violence. Grâce à FaceBook, nous avons mobilisé 7000 personnes alors que les extrémistes avaient pour eux tout le réseau des mosquées ! Mais sur ce sujet, il y a eu une sorte de black-out de l’informatinon. On ne montre jamais assez notre belle société civile».
L’avenir n’est donc pas forcément une vallée de roses… Il en faut apparemment plus pour abattre Zeyneb Farhat. Elle sait que la démocratie et la tolérance impliquent «un travail en profondeur». Pour cette raison, elle veut ainsi organiser des rencontres sur les handicapés et le racisme. Inclassable décidément, Madame Ferhat…