Tunisie : la corruption contre la transition démocratique?

L'Assemblée des représentants du peuple, le Parlement tunisien, au palais du Bardo, à quelques kilomètres à l'ouest de Tunis, le 13 septembre 2017 (AFP - NACER TALEL -ANADOLU AGENCY)

Le Parlement tunisien a adopté le 13 septembre 2017 une loi controversée permettant l’amnistie de fonctionnaires accusés de corruption sous le dictature Ben Ali. Société civile et opposition ont exprimé leur vive inquiétude pour la transition démocratique dans le pays.

Présenté par le président Essebsi mi-2015, le projet de loi prévoyait au départ l'amnistie de certaines personnes (hommes d'affaires, anciens du régime Ben Ali…) poursuivies pour corruption. Et ce en échange du remboursement à l'Etat des sommes indûment gagnées et d'une pénalité financière. Face au tollé, le texte a été revu pour ne concerner que les fonctionnaires accusés d'être impliqués dans des faits de corruption administrative et n'ayant pas touché de pots-de-vin.

Pour défendre la loi, la présidence a invoqué l'économie, disant vouloir «libérer les énergies» de l'administration. Environ 2000 hauts fonctionnaires «qui n'ont touché aucun pot-de-vin» sont concernés, selon le directeur de cabinet du président, Selim Azzabi. Pendant la dictature, ils «ont reçu des instructions et les ont appliquées sans en tirer profit», a-t-il insisté.

«Nous voyons aujourd'hui dans les régions qu'il n'y a que 35% du budget alloué (aux régions défavorisées) qui est dépensé. Pourquoi? Parce que l'administration a peur (...), il y a beaucoup d'employés qui bloquent les projets publics», a-t-il ajouté. Selon lui, la loi pourrait «apporter 1,2% de croissance en plus pour la Tunisie». Pays dont l'économie est très mal en point.

Vainqueur des dernières élections, Nidaa Tounès, qui compte dans ses rangs des membres de l'ancien régime, s'est félicité du vote. La loi «ouvre la voie à une nouvelle étape dans l'histoire de la Tunisie, celle de la réconciliation et de l'union», a jugé la formation fondée par le président Essebsi.

Le parti islamiste Ennahdha, qui domine avec Nidaa Tounès le Parlement et participe au gouvernement, a, quant à lui, affirmé avoir voté en faveur du texte au nom de «l'intérêt national». Cette formation a été «le parti le plus persécuté par l'ancien régime, y compris par des responsables, qui pourraient être amnistiés par la loi de réconciliation», relève un observateur. Et d’ajouter : «Ennahda préféré préserver son alliance avec» la formation séculaire.


«Mauvaise pente»
Selon l'opposition et la société civile, la législation encourage au contraire l'impunité alors que la corruption est endémique. Et pourrait même signer le début d'un retour à des pratiques autoritaires. En consacrant «une culture bien ancrée dans l'administration tunisienne», la loi «risque de perpétuer des pratiques héritées de l'ancien régime» et place le système démocratique, né du soulèvement de 2011, sur «une mauvaise pente», estime Amna Guellali, la responsable à Tunis de Human Rights Watch.

«J'appelle le peuple à être vigilant (...) parce que demain, ceux qui ont commis des crimes à votre égard, qui ont volé votre argent, nous allons les retrouver aux postes les plus élevés comme s'il n'y avait pas eu de révolution», a lancé de son côté le député de gauche Ahmed Seddik.

«Cette loi doit être modifiée!», a clamé sur Twitter l'ONG Transparency International.

 


Sujet du moment
Pour l'ex-président Moncef Marzouki, le pays va «vers un grand danger». «Nous n'avons pas fait la révolution pour passer d'une dictature corrompue à une démocratie corrompue», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.

La corruption est l’un des grands sujets du moment en Tunisie. Au printemps 2017, comme GéopolisAfrique l’a rapporté, un coup de filet a été mené contre une quinzaine de personnalités, dont certaines fort sulfureuses. Le phénomène «menace sérieusement le taux de croissance et concourt à le maintenir dans des proportions infimes», expliquait alors le Premier ministre, Youssef Chahed. Lequel a assuré avoir déclaré la guerre à la corruption «généralisée» qui «sévit partout» dans le pays.

Pour le site kapitalis.com, cette campagne a été engagée par le chef de gouvernement «sans réel appui politique». Selon le site, elle a été «freinée, en pleine montée en puissance, par le parti islamiste et son allié Nidaa, qui n’en veulent pas. Et pour cause, ces deux partis, qui dominent l’Assemblée (…) et l’échiquier politique en général, comptent dans leurs rangs ou parmi leurs soutiens financiers des hommes d’affaires poursuivis en justice pour corruption».

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé