Quand Nabeul la Tunisienne fabriquait du garum, le nuoc-mam romain

L'équipe archéologique tuniso-italienne à l'œuvre au large de Nabeul le 13 juillet 2017. (AFP PHOTO / l’nstitut national du patrimoine tunisien (INP) / University of Sassari / AFP)

Une équipe d’archéologues tunisiens et italiens ont découvert pendant l’été les vestiges de la ville romaine de Neapolis, au large de Nabeul (60 km au sud-est de Tunis). Une ville ravagée au IVe siècle de notre ère par un raz-de-marée. Et connue pour la production de… garum, un condiment de poisson exporté dans tout le monde méditerranéen.

Les archéologues en ont maintenant la certitude : la Neapolis tunisienne (le nom de Neapolis, qui signifie «nouvelle ville» en grec ancien, a été donné à une vingtaine de villes antiques, dont Naples) a bien été touchée par un raz-de-marée provoqué par un séisme le 21 juillet 365 après J.-C. Lequel séisme avait aussi touché Alexandrie (en Egypte) et la Crête. Ils ont ainsi pu confirmer les dires de l’historien latin Ammien Marcellin qui avait évoqué le drame.

La mission archéologique de l’Institut national du patrimoine (INP) tunisien et de l’université de Sassari-Oristano (Italie) avait commencé ses travaux en 2010 pour tenter de retrouver le port de Néapolis. Un port qui fut d’abord un comptoir carthaginois et une ville grecque avant de tomber dans l’escarcelle de Rome à l’époque de l’empereur Auguste. Mention en est faite par l’historien grec Thucyde au Ve siècle de notre ère.

Au bout de sept longues années de prospection, l’équipe tuniso-italienne a profité des conditions météo exceptionnelles de l’été 2017, particulièrement favorables. Elle a ainsi pu mettre au jour quelque 20 hectares de vestiges tout près du rivage. En l’occurrence des rues et des monuments.

Condiment à base de poisson
Mais ce n’est pas tout. Les archéologues ont également découvert près d’une centaine de cuves servant à la production de garum, un condiment en sauce à base de poisson, très apprécié des Romains, dont le goût rappelle, paraît-il, le nuoc-mam vietnamien. Il s’agissait d’un produit «à base de poisson putréfié (maquereau (…) et thon de préférence», précise le site tunisien kapitalis.com.

L'onéreux garum était brassé dans des cuves comme celles qui viennent d’être découvertes. Pour être ensuite stocké et transporté dans des amphores «qui ont été exportées à travers presque toute la Méditerranée», explique le directeur de la mission archéologique, Mounir Fantar.

«Cette découverte nous a permis d'avoir la certitude que Neapolis était un grand centre de production de garum et de salaison, probablement le plus grand centre dans le monde romain. Et que (...) les notables de Neapolis devaient vraiment leur fortune au garum», ajoute le scientifique. Le raz-de-marée a donc immergé une partie de la ville antique. Ce qui a entraîné la délocalisation de la fabrication du garum.

Outre des vestiges matériels, le fameux condiment aurait laissé des traces linguistiques dans la Tunisie d’aujourd’hui. «On retrouve dans notre dialecte ce qualificatif ‘mchoum garum’’ pour désigner quelqu’un de très méchant, bref de ‘‘puant’’ et infréquentable», précise kapitalis.com. «Mchoum» veut effectivement dire «qui sent, qui pue» en arabe. Manière de dire que le garum ne devait pas sentir très bon et que sa réputation odorante a traversé les siècles…

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé