Plus de la moitié des jeunes Tunisiens souhaiteraient émigrer, selon une étude menée entre 2014 et 2015 auprès de 2000 personnes et rendue publique le 23 mars 2017. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces candidats au départ ont souvent un niveau d’éducation élevé. L’émigration traduit ainsi souvent un sentiment de frustration et d’exclusion sociale.
L’enquête «Sahwa» («L’éveil» en arabe) est à l’origine une commande de la Commission européenne. Six ans après le «printemps arabe», qui a débuté avec la révolution tunisienne (14 janvier 2011), un résumé a été publié par la fondation espagnole Cidob qui a coordonné le rapport. Outre la Tunisie, où la tranche d’âge 15-29 ans représenterait près de 30% de la population, les enquêteurs ont travaillé au Maroc, en Algérie, Egypte et Liban.
D’une manière générale, les résultats reflètent «un sentiment général de frustration et d'exclusion sociale» parmi les jeunes. Elément significatif : «Plus le niveau d’éducation est important, plus le désir d’émigrer est renforcé». 38 % des candidats au départ ont fréquenté l’école primaire. 59% ont fréquenté l’enseignement supérieur. «Le problème en Tunisie, c’est le manque de travail. J’ai tout fait pour trouver un poste ! En vain ! Mes parents ont dépensé beaucoup d’argent pour mes études et me permettre de travailler. Mais c’est impossible», explique un jeune Tunisien cité dans l’enquête. On ne peut mieux exprimer le «sentiment de frustration»…
Le principal motif qui pousse au départ est économique : «Trouver un emploi digne et de meilleures conditions de vie.»
35% des jeunes Tunisiens sont au chômage
Selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail (OIT), le chômage des jeunes Tunisiens atteint 35% (contre environ 15,5% pour l’ensemble de la population active). Le chiffre des sans-emplois diplômés de l’enseignement est particulièrement important : au second trimestre 2016, il concernait 267.700 personnes. «La situation économique s'est encore détériorée depuis 2011, même pour ceux qui ont un niveau universitaire élevé, et cela a rendu les jeunes frustrés, voire désespérés», commente la responsable de l'enquête Sahwa pour la Tunisie, l’analyste de données Fadhila Najah.
Après la fuite du président Zine El Abidine Ben Ali puis les premières élections libres en 2011, les jeunes avaient l'espoir d'être davantage représentés dans la sphère publique: «Malheureusement, cela a été le contraire. On compte ainsi davantage de personnes très âgées au pouvoir», constate Fadhila Najah. Une allusion transparente au président tunisien Béji Caïd Essebsi, âgé de 90 ans… Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les jeunes aient été apparemment les plus nombreux à s’abstenir lors des élections de 2014.
Cette tendance se reflète dans l’enquête réalisée pour la Commission de Bruxelles. Les motivations politiques invoquées pour émigrer ne comptent ainsi que pour 3% des sondés. Pour eux, la politique «n’est pas ce qui compte le plus. Le principal problème, c’est plutôt la sensation de ne pas pouvoir arriver à devenir adulte», explique la politologue espagnole Elena Sanchez-Montijano, du Cidob.
Selon Sahwa, 87,7% de ces migrants sont partis pour l’Europe entre 2004 et 2014. Principaux pays d’accueil, dans l’ordre : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et le Royaume-Uni.
Migrants clandestins
L’intérêt de cette enquête est qu’elle se recoupe avec un autre rapport (en arabe) réalisé par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), en lien avec la fondation (de gauche) allemande Rosa Luxemburg. Son titre : Les jeunes et la migration non règlementaire. Un euphémisme pour parler de migrants clandestins…
La plupart des candidats à l’émigration interrogés pour cette étude «sont des jeunes et des étudiants, non chômeurs, issus de quartiers marginalisés et victimes d’exclusion économique et sociale», rapporte le site direcinfo.
Autre élément intéressant : trois quarts des sondés sont conscients que les émigrés clandestins sont confrontés à d’importants problèmes dans le pays de destination…
Précision : selon la FTDES, fin décembre 2016, 35.000 jeunes Tunisiens avaient émigré clandestinement vers l’Europe depuis la révolution. Les chiffres officiels parlent de 20.000… Un millier d’entre eux auraient trouvé la mort en tentant de franchir illégalement les frontières maritimes italiennes. Rappelons par ailleurs que la Tunisie est l’un des principaux pays touchés par le phénomène djihadiste : entre 5500 et 6000 ressortissants tunisiens auraient rejoint les rangs d’organisations djihadistes en Irak, Syrie et Libye…
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