L'immigration envenime les relations entre la Tunisie et l’Allemagne

Le président tunisien Béji Caïd Essebsi et la chancelière Angela Merkel à Tunis le 3 mars 2017 (REUTERS - Zoubeir Souissi)

Après un trou d’air dans leurs relations, lié notamment aux suites de l’attentat de Berlin perpétré en décembre 2016 par un Tunisien, l’Allemagne et la Tunisie ont annoncé, le 3 mars 2017, la signature d’un accord sur l’immigration clandestine. En février, les autorités tunisiennes avaient fait savoir à Berlin qu’elles refusaient l’installation de camps de réfugiés sur leur sol.

Objectif de ces projets de camps : accueillir des migrants sauvés au cours de leur traversée de la Méditerranée depuis la Libye. Lors du sommet de Malte en février 2017, les dirigeants de l’UE avaient affirmé qu’ils allaient financer des camps en Libye où sont retenus des candidats au départ pour l’Europe.

De son côté, la Tunisie a annoncé une fin de non-recevoir à l’Allemagne sur l’idée d’implanter de telles installations sur son territoire. «Nous sommes une toute petite démocratie et je ne pense pas que pareille initiative pourrait réussir dans notre pays. Nous n’avons ni les moyens ni la capacité de tolérer la présence de camps de réfugiés sur le sol tunisien. Toute proposition à ce propos devrait être discutée avec la Libye», a déclaré le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, dans une interview au journal allemand Bild (non accessible), cité par le site directinfo.

De son côté, la Libye, en plein chaos, serait ouverte à de telles initiatives, selon le même site. Un pays, «les réfugiés et les migrants sont victimes de viols, de torture et d’enlèvements aux mains des trafiquants d’êtres humains et des passeurs, d’exploitation systématique de la part de leurs employeurs, de persécutions religieuses et d’autres violations des droits humains imputables aux groupes armés et aux bandes criminelles», observait Amnesty International en mai 2015.

Si la Tunisie rejette l’idée de camps de migrants, elle a accepté de signer un accord sur l’immigration accélérant les refoulements de Tunisiens en situation irrégulière en territoire allemand. 1500 personnes seraient concernées, selon la chancelière allemande. L’accord, signé à l’occasion de la visite d’Angela Merkel à Tunis le 3 mars, prévoit notamment une réponse «sous 30 jours» aux demandes d'identification venues de Berlin.

La chancelière allemande, Angela Merkel et le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, rendent hommage, le 14 février 2017, aux victimes de l'attentat de Berlin (19 décembre 2016) (AFP - John MACDOUGALL)

La chancelière allemande, Angela Merkel et le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, rendent hommage, le 14 février 2017, aux victimes de l'attentat de Berlin (19 décembre 2016) (AFP - John MACDOUGALL)

Crispation
Cette annonce doit permettre de clore une période de crispation entre les deux pays. «Le sujet des rapatriements de ressortissants tunisiens est très sensible en Tunisie, pays gangrené par le chômage des jeunes. Nombre de familles vivent en effet de l’argent envoyé par des proches installés en Europe», observe Jeune Afrique.

Côté allemand, la thématique de l’immigration est d’autant plus importante qu’elle risque de dominer la campagne des législatives du 24 septembre 2017, au cours desquelles Angela Merkel sollicite un quatrième mandat. Elle a été relancée après plusieurs affaires impliquant des islamistes présumés dont Tunis refusait le retour (ou faisait traîner les dossiers). Et notamment celle d’Anis Amri, auteur présumé de l’attaque du 19 décembre 2016 contre un marché de Noël à Berlin (12 morts). «Classé islamiste «dangereux», Anis Amri avait vu sa demande d'asile rejetée par l'Allemagne et devait, après des mois de tractations avec Tunis, être expulsé vers son pays», écrivait Géopolis le 30 décembre 2016.

Des responsables allemands avaient alors avancé l’hypothèse de sanctions contre les Etats, dont la Tunisie, ne coopérant pas suffisamment sur l’immigration.

En décembre, au plus fort de la polémique, des centaines de personnes avaient manifesté à Tunis contre le retour de compatriotes djihadistes. Unique rescapé du Printemps arabe, la Tunisie est l’un des pays les plus touchés par le phénomène djihadiste. Le retour de milliers de Tunisiens  ayant prêté allégeance à des organisations comme le groupe Etat islamique (EI), y est donc un sujet très sensible.

Pour rapprocher les points de vue, le Premier ministre tunisien Youssef Chahine avait fait un déplacement à Berlin en février. Signe de l’importance que l’Allemagne donne à ses relations avec la Tunisie, Angela Merkel vient donc de se rendre à son tour à Tunis. Selon le président Béji Caïd Essebsi, c’était la première fois qu’«un chancelier allemand en exercice (visitait) la Tunisie».

Les désaccords évacués, Tunis entend renforcer la coopération économique avec l'Allemagne. Laquelle a bonne presse dans ce pays d'Afrique du Nord dont les partenaires européens traditionnels, France et Italie, traversent une conjoncture économique difficile.

L'enjeu est de taille pour la Tunisie qui ne parvient pas à faire redémarrer son économie. Au risque de menacer les acquis démocratiques.

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé