Recherché dans son pays pour son implication présumée dans les attaques du musée du Bardo et de la ville de Ben Gardane, un Tunisien a été arrêté le 1er février 2016 en Allemagne. Selon le parquet allemand, Tunis n’avait pas donné suite à une demande de Berlin de le renvoyer chez lui. L’affaire tend les relations entre les deux pays.
L’homme de 36 ans a été apparemment interpellé dans le Land de Hesse (centre-ouest) lors d’une vaste opération qui a mobilisé quelque 1100 policiers et a permis l’arrestation de 16 personnes âgées de 16 à 46 ans. Il a été identifié par le journal Die Welt comme Haikel S., sans plus de précision. Il était arrivé au pic de la crise migratoire en août 2015 et s’était fait enregistrer comme demandeur d’asile.
Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir été «un recruteur et un passeur» pour le compte de l’organisation Etat islamique. Il aurait mis sur pied un réseau en vue de mener une «attaque terroriste» sur le sol allemand. Le projet n'en était qu'à ses débuts et aucune cible précise n'avait encore été choisie, a ajouté le parquet. «Il ne s'agissait pas d'éviter une attaque imminente», a confirmé le ministre régional de l'Intérieur.
En Tunisie, l’homme était déjà soupçonné d'avoir joué un rôle dans «l'attentat du musée du Bardo le 18 mars 2015 et l'attaque contre la ville tunisienne frontalière (avec la Libye) de Ben Gardane début mars 2016», a indiqué le parquet. La justice tunisienne avait émis un mandat d'arrêt contre lui le 3 juin 2016, selon la même source. Le pôle judiciaire à Tunis n'a pas pu confirmer ces informations dans l'immédiat. «Pour l'instant, nous n'avons pas l'identité de cette personne. Il y a plusieurs suspects dans l'affaire du Bardo et de Ben Gardane, actuellement en fuite», a affirmé son porte-parole.
Demandes allemandes, côté allemand, et réponses dilatoires, côté tunisien
Malgré l'ensemble des soupçons pesant contre ce suspect et «des demandes répétées», son pays n'avait pas donné suite aux requêtes de Berlin qui entendait le renvoyer chez lui, affirme le parquet. Les autorités allemandes l'avaient déjà placé en détention en août 2016 pour une bagarre et voulaient l’expulser. Faute d'une réponse de Tunis, qui n’avait pas envoyé les documents nécessaires, la procédure avait été abandonnée. Il avait été remis en liberté en novembre.
Selon le parquet allemand, les autorités de Tunis ont eu la même attitude que dans le dossier du Tunisien Anis Amri, auteur présumé de l'attentat du 19 décembre 2016 à Berlin (12 morts), et lui aussi demandeur d’asile débouté. Ce dernier avait fait allégeance à l’EI, selon une vidéo diffusée par l'agence de propagande du groupe djihadiste. Quatre jours plus tard, il avait été tué lors d'un contrôle policier de routine à Milan. L'enquête avait fait apparaître que la Tunisie n'avait pas donné suite durant des mois à une demande de l'Allemagne de le renvoyer dans son pays.
Depuis, l’Allemagne entend accélérer l'expulsion des ressortissants de pays du Maghreb (non cités) déboutés de leur demande d'asile.
Aux dires des Allemands, la Tunisie, comme certains de ses voisins, freinerait les procédures d’expulsion de ses ressortissants. «Lorsque les demandeurs d'asile de pays d'Afrique du Nord doivent être expulsés, leurs pays refusent de les reprendre s'ils n'ont pas leurs papiers d'identité nationaux en règle. Comme les autorités allemandes le déplorent, il suffit alors au réfugié débouté de détruire ses papiers pour bloquer la procédure malgré des accords de réadmission», rapporte Le Parisien.
Ces refus de pays maghrébins de reprendre leurs ressortissants déboutés de leurs demandes d’asile constituent un sujet de tension croissant entre les deux parties. En raison des affaires évoquées ci-dessus. Mais aussi de la vague d’agressions sexuelles la nuit du Nouvel an 2015-2016 à Cologne. Ces agressions avaient été attribuées par la police à des migrants clandestins, essentiellement nord-africains.
Outre-Rhin, certains responsables ont même proposé de réduire l'aide au développement aux Etats concernés s'ils ne se montrent pas plus coopératifs.
Le 12 janvier 2017, en réponse aux critiques allemandes, le président Béji Caïd Essebsi avait assuré que la Tunisie comptait «assumer ses responsabilités». Sur l'immigration illégale, «nous avons des accords bilatéraux avec certains pays y compris l'Allemagne, ce sont de bons accords et ils vont être appliqués», a-t-il déclaré.
Quelques jours plus tôt, quelques 1000 personnes avaient manifesté dans le centre de Tunis contre un éventuel retour sur place de djihadistes tunisiens, «grande menace contre la sécurité du pays». On pouvait notamment y voir une grande banderole apostrophant (en allemand) la chancelière Angela Merkel : «La Tunisie n’est pas le déchet de l’Allemagne»…
L’enquête du Bardo «piétine»
Concernant l’enquête de l’attentat du Bardo (21 touristes étrangers, dont quatre Français, et un policier tunisien tués), celle-ci «piétine», selon un article du Canard Enchaîné en date du 16 novembre 2016 (comme le rappelait Géopolis le 30 décembre). Une enquête «entravée par des dysfonctionnements à répétition». Parmi les dysfonctionements : six complices présumés des deux tireurs abattus par la police, arrêtés dans un premier temps, «ont été relâchés, en dépit d’aveux», rapportait déjà Ouest France le 21 avril 2016. Sans parler d’un juge en charge de l’enquête «particulièrement controversé». Lequel serait proche des islamistes, ajoute le quotidien…
A la fin 2016, l’enquête piétinait tellement que six Français rescapés «ont refusé de se rendre, le 18 novembre, à une cérémonie du souvenir à laquelle ils avaient été conviés» par Béji Caïd Essebsi. Ils ont qualifié l’invitation de «poudre aux yeux médiatique».
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