Centre et sud de la Tunisie : le «ras-le-bol» des habitants

Manifestation de chômeurs à Sidi Bouzid le 14 janvier 2017 (Reuters - Amine Ben Aziza)

Six ans après le renversement de la dictature, les régions pauvres du centre et du sud du pays, qui s’étaient soulevées les premières, en sont toujours au même point. Rien, ou fort peu de choses, n’est venu améliorer leur quotidien. Résultat : les manifestations se poursuivent.

Le 22 janvier 2016, le quotidien francophone La Presse évoquait une «intifada» de l’emploi à propos des manifestations de chômeurs à Kasserine (centre-ouest). Un an après, rien n’a changé. Et «l’effrayante réalité des inégalités régionales» est toujours là…

«C’est, chaque fois, le même constat. Les régions intérieures de la Tunisie profonde n’en finissent pas de se paupériser. A défaut d’infrastructures d’accompagnement, d’investissements et d’attributs de la vie digne», écrit La Presse un an plus tard. «Ici et là, le chômage massif et la misère étalent leurs plaies et leur inévitable lot de ressentiments et de rancœurs. Dans la quasi-indifférence de l’establishment. Hormis des professions de foi généreuses, proférées à tour de bras par de hauts responsables, du bout des lèvres et sans conviction le plus souvent», poursuit le journal.

A priori, donc, rien d’étonnant à ce que les «populations locales exaspérées (…) excédées par les promesses sans lendemain» expriment leur «ras-le-bol». Comme elles l’ont fait mi-janvier.

Le 14 janvier 2017, des dizaines de chômeurs ont ainsi manifesté à Sidi Bouzid (centre), en scandant «Le travail est un droit, bande de voleurs» ou encore «Travail, liberté, dignité, patrie», deux slogans phares de la révolution, selon un correspondant de l'AFP.

Par ailleurs, quelque 150 chômeurs ont brûlé des pneus pour bloquer la route principale de Menzel Bouzaiane, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Sidi Bouzid, en chantant les mêmes slogans, d'après la même source. Des protestations similaires ont eu lieu à Meknassi, près de Sidi Bouzid, où une grève générale a été observée le 9 janvier pour réclamer des emplois et le développement de la région.

Capture d'écran de Twitter (DR)

A Ben Guerdane (sud), ville proche de la frontière libyenne, la police a fait usage de gaz lacrymogènes pour répondre aux jets de pierres de manifestants, selon des témoins et des médias locaux. Les manifestants ont utilisé des pneus et des poubelles pour bloquer les routes. Ils réclament l'ouverture du poste-frontière de Ras Jédir et le libre passage des marchandises. Une zone qui est le centre de tous les trafics… C’est aussi Ben Guerdane que des djihadistes avaient visé lors d’un raid sans précédent le 7 mars 2016.

C’est encore à Ben Guerdane qu’une patrouille des services de sécurité a été visé, dans la nuit du 15 au 16 janvier, par des coups de feu. Il n’y a pas eu de victime.

Plan de développement en souffrance
Et les pouvoirs publics dans tout ça...? «Si nous voulons que cette démocratie devienne solide, nous devons atteindre les objectifs économiques et sociaux de la révolution, à savoir l'emploi et la dignité. Aujourd'hui, nous n'y parvenons pas car le chômage et les inégalités sociales ont augmenté et les régions marginalisées le sont encore», a déclaré le 13 janvier le Premier ministre Youssef Chahed à la télévision.

Le lendemain, le président Beji Caïd Essebsi a annoncé de nouveaux projets lors d'un déplacement dans le gouvernorat de Gafsa (centre). Des projets susceptibles de créer des milliers d’emplois, affirme-t-il. Selon la télévision privée Nessma, des heurts ont éclaté lors du passage du convoi présidentiel. Les forces de l'ordre répondant avec des tirs de grenades lacrymogènes aux jets de pierres de certains manifestants.

I
l y a un an, en janvier 2016, le chef de l’Etat tunisien mettait en avant l’héritage «d'une situation très difficile» avec «700.000 chômeurs, et parmi eux, 250.000 jeunes diplômés». Et d’ajouter : «On ne peut pas résoudre des situations comme ça par des déclarations ou un coup de pouce. Il faut (laisser) du temps au temps». «Le gouvernement n’a pas de vision, pas de programme pour les régions intérieures», commentait alors le président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, Abderrahman Hedhili.

Depuis, les pouvoirs publics ont bien préparé un «plan de développement économique 2016-2020». Et ce six ans après la révolution… Le plan institue notamment une «discrimination positive» en faveur des «14 régions intérieures structurellement sinistrées» (sur les 24 que compte le pays). En leur réservant «80% d’investissements qui profitaient jusqu’ici aux seules régions côtières». Mais voilà, le plan est en souffrance au Parlement. Et les habitants n’en peuvent plus de laisser «du temps au temps»...

Capture d'écran de Twitter

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé