Tunisie : l’avortement, «un droit sous pression»

Un couple se promène près d'un lac à Tunis le 25 mars 2014 (AFP - FETHI BELAID)

La Tunisie est le seul pays arabe à autoriser l’IVG sans condition jusqu’au troisième mois de grossesse. Pour autant, l’avortement y reste souvent compliqué. «Un droit sous pression», résume un article de l’excellent site tunisien Inkyfada.

La première loi sur le sujet date de 1965. Elle légalisait l’avortement au cours des trois premiers mois de grossesse pour les femmes ayant plus de cinq enfants. Huit ans plus tard, l’autorisation a été accordée quel que soit le nombre d’enfants.

Juridiquement, les choses semblent claires. L’article 214 du Code pénal stipule ainsi : «L’interruption artificielle de la grossesse est autorisée lorsqu’elle intervient dans les trois premiers mois dans un établissement hospitalier ou sanitaire ou dans une clinique autorisée, par un médecin exerçant légalement sa profession». Et de poursuivre : l’IVG «peut aussi être pratiquée, lorsque la santé de la mère ou son équilibre psychique risquent d’être compromis par la continuation de la grossesse ou encore lorsque l’enfant à naître risquerait de souffrir d’une maladie ou d’une infirmité grave.»

Selon les chiffres, il y aurait entre 12.000 et 16.000 IVG chaque année en Tunisie (62,5 % des Tunisiennes utiliseraient régulièrement des moyens de contraception). Ces chiffres tenderaient à prouver que l’avortement serait devenu «un acte banal», affirment certains dans un article du quotidien francophone Le Temps. Au point que la liberté en la matière serait aujourd’hui du «libertinage». Preuve que la Tunisie aurait jeté «ses valeurs» aux orties et mis au point «un projet social bien étrange de ce qu’il devrait être dans un pays a fortiori musulman».

«La légalisation de l’avortement n’a (pas) conduit (…) à sa banalisation», note une étude (rendue publique en 2010 sur internet) du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). «Les complications des avortements sont très rares et les femmes n’en meurent plus», affirme par ailleurs le document. «La Tunisie n’occupe pas la première place pour le nombre d’avortements, mais en Afrique et dans les pays arabes, où l’avortement est illégal, ils sont bien plus nombreux, et plus souvent mortels, car pratiqués dans la clandestinité», observe un médecin dans Le Temps, répondant à l’article cité plus haut.

Le poids de la société
Dans la pratique, demeurent le poids de la famille, celui de la société et des traditions. Lesquelles peuvent rendre compliquées la mise en œuvre du droit accordé par la loi. Des difficultés qui seraient renforcées par l’absence d’éducation sexuelle et d’information sur les moyens de contraception. Ce qui amène l’étude, citée plus haut, à conclure : «L’avortement n’est pas adoptée comme une méthode contraceptive mais comme un échec réel de la contraception».

L’article d’Inkyfada et les forums de discussion sur des sites de magazines féminins fournissent des témoignages sur les difficultés qu’il y a à interrompre une grossesse en Tunisie.

Si l’on en croit ces témoignages, les femmes doivent notamment souvent subir des discours «moralisateurs» pour les faire renoncer. Quand ce ne sont pas certains parmi les personnels soignants qui mentiraient sur les dates pour faire dépasser les délais.

«Ce qui est condamnable aujourd’hui dans notre pays, c’est que des prestataires dans certaines structures de la santé publique (…), bafouant les droits des femmes, obstruent l’accès au droit de l’avortement. Les femmes démunies sont alors obligées de se dépouiller de leurs économies pour avorter dans le privé», précise le médecin cité plus haut. Mais d’ajouter : «Le seul de ces pays (arabes et africains, NDLR) où les femmes de milieux modestes et pauvres sont prises en charge dans le service public est la Tunisie».

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé