La Tunisie entre crise politique et morale

Manifestation contre le projet de loi sur la corruption le 25 juillet 2016 (AFP - FETHI BELAID)

La Tunisie célébrait le 25 juillet 2016 le 59e anniversaire de la République dans un climat morose, cernée par les problèmes politiques et sécuritaires, les difficultés socio-économiques. Et la crainte d’un retour de l’ancien pouvoir.

«Le grand peuple de Tunisie doit de nouveau patienter, dans un tourbillon d’incertitudes et d’inconnues, avant de voir la lumière du bout du tunnel.  Le pays est tel un bateau ivre, allant à la dérive», n’hésite pas à écrire leconomistemaghrebin.com. Qui ajoute : «La désillusion, le désenchantement gagnent de larges pans de la société».

Exagération ou réalité ? Toujours est-il qu’au niveau politique, l’actuel transition démocratique pourrait se retrouver entravée par la crise qui sévit au sommet de l’Etat. Le président Béji Caïd Essebsi (alias BCE, âgé de 89 ans), est en froid avec le Premier ministre, Habib Essid. Le chef de l’Etat «semble faire siennes les critiques adressées à l’action gouvernementale, jugée trop peu dynamique», face à de grands défis en matière sociales et économiques, rapporte Le Monde.

De plus, «en verrouillant sa maîtrise d’une administration aussi stratégique que le ministère de l’Intérieur, M. Essid aurait indisposé le chef de l’Etat ainsi que son fils Hafedh Caïd Essebsi». Un fils très, très présent dans la politique tunisienne : c’est lui qui a pris le contrôle de Nidaa Tounès, le parti majoritaire, aujourd’hui en pleine déconfiture. Une formation hétéroclite née en 2012 et composée aussi bien de personnalités de gauche et de centre droit que d’anciens dignitaires de la dictature Ben Ali.

Dirigé par BCE jusqu’à son accession à la présidence en 2014, ce parti a été secoué par une crise au sommet entre le fils Essebsi et le secrétaire général, Mohsen Marzouk. Résultat : Hafedh l’a emporté. Et Mohsen Marzouk est parti fonder un nouveau parti, Machrou Tounes («Projet de la Tunisie», en arabe), qui se réclame du fondateur de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba. Résultat : le camp séculaire a perdu son statut de premier bloc parlementaire au profit de ses alliés, les islamistes d’Ennahda.

De son côté, Habib Essid a refusé de démissionner. Conséquence : le 20 juillet : il a demandé un vote de confiance au Parlement, où il risque un désaveu de la part des députés favorables à BCE. Ce qui entraînera de facto son départ.

«Je ne pardonnerai pas»
Autre ferment de crise : le projet de loi prévoyant l’amnistie des personnes poursuivies pour corruption en échange du remboursement des sommes indûment gagnées et d'une pénalité financière. Parmi les personnes concernées, on trouve des hommes d'affaires et des anciens membres du régime du dictateur déchu Zine El Abidine Ben Ali. Pour le moment, les protestations, notamment au sein de la société civile, très puissante en Tunisie, ont interrompu le processus parlementaire. Le 25 juillet, une manifestation d’opposants au texte a réuni des centaines de personnes à Tunis. Le rassemblement était organisé à l’appel du collectif Manich msamah («Je ne pardonnerai pas», en arabe).

La question du retour des anciens cadres de la dictature reste une question très sensible en Tunisie. C’est ce que montre la polémique suscitée par la réapparition publique d’un ancien ministre des Affaires étrangères au temps de la dictature, Abdelwahab Abdallah. Ce dernier a été ainsi été invité au palais présidentiel en mai 2016, en présence de BCE et du Premier ministre. «Rappelons que Abdelwahab Abdallah avait été emprisonné pendant un an et demi au lendemain de la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011, et qu’il est encore poursuivi dans une affaire de corruption liée à la gestion de l’établissement de la télévision nationale», rapporte le site kapitalis.com.

Dans une «Déclaration à l’occasion du 59e anniversaire de la République», 12 journalistes et militants des droits de l’homme ont dénoncé «la tentative de réhabilitation politico-médiatique d’un symbole de premier plan de l’ancien régime». Dans les années 70 et 80, Abdelwahab Abdallah a été successivement responsable du quotidien La Presse et de l’agence de presse officielle Tunisie Afrique Presse (TAP) et ministre de l’Information. Les signataires de l’appel le décrivent comme un «maître absolu de la désinformation et de la propagande» et y voient un dérive mettant en péril «la liberté de la presse et le droit des citoyens à l’information».  

 

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé