L'ancien dictateur Ben Ali, qui a régné 23 ans sur la Tunisie, a porté plainte le 10 juin 2016 contre la chaîne privée Attessai TV (TV 9) pour exiger l’arrêt d’une émission comique. Celle-ci, organisée selon le principe de la caméra cachée, piège des invités qui croient avoir affaire à lui en entendant sa voix imitée par un humoriste. L’ex-président s’estime «atteint dans sa dignité».
On n'entendait plus parler de lui. On savait que l’ex-président, âgé de 79 ans, se trouve en exil à Jeddah en Arabie saoudite, après s’être enfui lors de la révolution tunisienne du 14 janvier 2011. Il reste ainsi protégé du mandat d’arrêt international émis contre lui dans la mesure où les autorités de Ryad n’extradent pas un musulman.
Depuis son renversement, il «n’est jamais apparu en public», rappelle Jeune Afrique. Cela ne l’empêche pas, grâce à internet, de s’informer «en temps réel de ce qui se passe en Tunisie». De plus, «il serait en contact régulier via Skype avec ses familiers restés au pays». «Certains hommes d’affaires ou Tunisiens résidents au royaume des Al Saoud l’ont rencontré». A tous, il «leur aurait fait part de son souhait de rentrer en Tunisie à condition de bénéficier d’un procès équitable». Rappelons qu’il a déjà été condamné dans plusieurs jugements à 71 ans de prison. Notamment pour torture, détournement de fonds publics, détention d’armes, de stupéfiants, d’objets archéologiques.
Contradictions
Apparemment très informé, Zine El Abidine Ben Ali a donc dû tomber sur l’émission «Allo Jeddah», diffusée sur Attessia à une heure de grande écoute. En l’occurrence juste après la rupture du jeûne (l’iftar) pendant le mois du ramadan.
Vidéo mise en ligne sur Dailymotion
Principe de l'émission: des personnalités croient qu'ils sont invitées dans le cadre d'un nouveau programme politique. Au bout de quelques minutes, le présentateur Mekki Hella annonce un invité-surprise. En régie, l’humoriste Migalo imite alors la voix de Ben Ali, faisant croire que l'ex-dictateur se trouve en direct depuis la ville saoudienne.
Le 9 juin, un partisan du président déchu, Mondher Guefrech, s'est mis à pleurer d'émotion en entendant ce qu'il croyait être la voix de Ben Ali. La veille, Imed Dghij, l'un des dirigeants des Ligues de protection de la révolution (LPR), accusées d'être des milices pro-islamistes et aujourd'hui dissoutes, avait en revanche échangé des propos virulents avec le pseudo ex-dictateur.
Un ancien parlementaire, qui se disait «révolutionnaire», a discuté avec celui qu’il prenait pour l’ex-dictateur, «lui proposant un refuge dans sa propre maison», raconte Le Point par la plume de son correspondant à Tunis, Benoît Delmas. Un journaliste, pourtant très critique vis-à-vis de l’ancien régime, a fait l’éloge du réfugié de Jeddah. «Cette émission, habile, met en lumière les contradictions de certaines élites tunisiennes cinq ans après l'instauration de la démocratie. De la part des invités, la nostalgie le dispute à la flatterie la plus primaire», poursuit Benoît Delmas.
L’ancien président est donc sorti de sa réserve. S’estimant «atteint dans sa dignité», il a demandé à son avocat, Me Mounir Ben Salha, de porter plainte pour «diffamation et usurpation d’identité». Il s'agit d'une plainte en référé pour arrêter l'émission et l'audience a été fixée au 14 juin. Le patron d’Attessai TV, Moez Ben Gharbia, a annoncé que l’émission continuerait «bien sûr» d’être diffusée.