«Sois prudent ! Fais attention !», ne cesse-t-on de répéter au journaliste en partance pour la Tunisie. Tout à fait à juste titre, notamment quand on se remémore les attaques terroristes de 2015 qui ont notamment visé des étrangers. Mais pourtant, sur place, on ressent les choses différemment. Reportage.
«Les contrôles ont été renforcés sensiblement renforcé dans les aéroports tunisiens. Notamment à celui de Tunis-Carthage dont la sécurité a longtemps été jugée défaillante», nous avait prévenu un interlocuteur français. Un propos qui prend tout sens après la catastrophe d’Egyptair.
De fait, le 22 mai 2016 au soir, à l’aéroport de Carthage, quelques douaniers et policiers observaient d’un air (faussement ?) débonnaire les passagers du vol arrivé de Paris. Et lesbagages étaient scannés à la sortie. Mais nulle mesure draconienne. Et passé ce contrôle, les chauffeurs de taxi se précipitaient comme d’habitude sur les nouveaux arrivants pour leur proposer leurs services. Pas de psychose, donc.
Le lendemain 23 mai, la capitale commence à s’enfoncer dans une torpeur estivale sous une chaleur de 26°. Il faut aller au bord de la mer pour trouver un vent frais… Devant l’Institut national du patrimoine, installé dans un fort beau palais du XVIIIe de la médina, des ouvriers poursuivent activement les travaux de restauration. Près de là, dans un commerce, un vieillard, assis à l’ombre, demande à un Européen de passage, qui veut acheter une bouteille d’eau, d’attendre le retour du commerçant. Et plusieurs fois par jour, les muezzins se font concurrence pour l’appel à la prière. Comme d’habitude.
Comme d’habitude, les hommes jouent aux cartes aux terrasses des cafés de Bab M’nara. Bref, en apparence, la vie est normale et l’étranger de passage ne se sent pas en insécurité. Alors, évidemment, il y a un fort déploiement de forces de sécurité dans des endroits sensibles comme le palais du Premier ministre. Mais ailleurs, ce n'est pas le cas. La situation est comparable à celle de Paris, ville elle aussi endeuillée par des attentats en 2015.
Liberté, dignité, justice sociale
«En apparence, oui, la vie est normale», commente un Tunisien très au fait des évènements. «Mais nous n’oublions pas ce qui s’est passé le 7 mars à Ben Guerdane (52 morts, NDLR) dans le sud du pays (à la frontière libyenne, NDLR). On sait qu’il y a des cellules djihadistes dormantes dans tout le pays : des petites équipes de deux-trois personnes prêtes à frapper dans les villes. Alors, c’est vrai, de temps en temps, il y a des secousses, comme à Ben Guerdane. Mais j’ai l’impression que globalement, le terrorisme ne prend pas dans le pays. Le 7 mars, les djihadistes voulaient prendre la ville. La population a fait semblant de leur obéir, elle leur a donné du thé, des gâteaux. Mais dès qu’elle a pu, elle a prévenu la police. Et les djihadistes ont échoué».
«Pendant la révolution, il y avait trois revendications : la liberté, la dignité, la justice sociale», poursuit notre interlocuteur. «La première des trois, nous l’avons. Nous avons une constitution, le système démocratique fonctionne, les élections sont transparentes. Nous sommes en attente des deux autres. Et tant qu’elles ne seront pas satisfaites, il y aura des secousses». Des secousses qui peuvent être sanglantes. Et un autre interlocuteur de conclure : «C’est vrai, tout ça, ça fout la trouille. Mais on sait que la peur handicape. Et il faut bien apprendre à vivre avec ce type d'évènement». En clair : la vie continue. Comme à Paris.