Les manifestations de Kasserine (centre-ouest) ont révélé la profondeur du malaise qui touche les régions de l’intérieur de la Tunisie, laissées pour compte depuis des années. Deux organisations de la société civile ont déposé une demande pour inscrire Kasserine en tant que «région victime» auprès de l’Instance vérité et dignité. Une instance chargée de traiter les atteintes aux droits de l’Homme et les «crimes économiques» commis dans le passé.
Les demandes ont été déposées par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) et Avocats sans frontières (ASF). Symboliquement, «le geste est très fort», souligne la chercheuse politologue Olfa Lamloum interviewée par la journaliste Olfa Belhassine pour le site justiceinfo.net. Il montre que la société civile, particulièrement puissante en Tunisie, «n’a pas oublié ces régions, une société civile qui défend les droits sociaux et l’accès à la démocratie pour tout le monde, y compris les ‘‘petites gens’’», ajoute celle qui est aussi directrice du bureau d’International Alert en Tunisie.
«L’objectif est de créer une première dans l’histoire de la Tunisie sur la base de l’article 10 de la loi sur la justice transitionnelle qui stipule que les dommages et intérêts peuvent être accordés aussi bien à une collectivité ou à une région», souligne le directeur exécutif du FTDES, Alaa Talbi, sur le site leconomistemaghrebin.com. L’initiative pourrait faire boule de neige. Et inciter d’autres régions, telles Sfax (ouest) et Gabès (ouest), à demander la même chose que Kasserine.
Dans ce dernier cas, il s’agit de «démontrer que la marginalisation, la relégation, la discrimination, l’exclusion, la dépossession ne sont pas des accidents de la route : ils relèvent d’un système méthodique», observe Olfa Lamloum.
La chercheuse, qui a enquêté sur le terrain, cite des indicateurs. Le chômage touche 30% de la population active, l’analphabétisme touche 37% des jeunes d’un échantillon de jeunes âgés de plus de 18 ans. «Malgré cette situation explosive, les interviewés déclarent qu’aucune politique n’a été mise en place jusque là pour mettre l’emploi au centre des stratégies officielles», explique-t-elle.
Dans le passé, «des mesures ont été adoptées», rappelait le journal La Presse le 28 janvier 2016. «Mais elles sont restées lettre morte et n’ont pas été suivies par des réalisations notables. D’où le ras-le-bol de la population qui a manifesté son mécontentement», poursuit-il. «Ce dont on a besoin aujourd’hui et qui est exigé par le peuple relève de l’action. Les plans à long terme doivent nécessairement être accompagnés d’actions concrètes et immédiates». Qui soient, cette fois, vraiment, mises en œuvre…
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