La révolution tunisienne «s’est arrêtée à Sidi Bouzid»

Des habitants de Sidi Bouzid passent devant un mur sur lequel a été installé un immense portrait de Mohamed Bouazizi. Sa mort, le 17 décembre 2010, est à l'origine des manifestations qui ont entraîné la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011. (REUTERS/Zoubeir Souissi)

Le 17 décembre 2010, le marchand de fruits Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu sur l’avenue principale de Sidi Bouzid (centre de la Tunisie) après qu’une femme agent municipal eut confisqué son matériel. Relayé par la rumeur et les télés étrangères, le drame va faire de la victime une icône. Et conduire à la révolution du 14 janvier 2011. Notre consœur Olfa Belhassine s’est rendue à Sidi Bouzid cinq ans après. Le bilan n’est pas rose…

«La Révolution de la dignité et de la liberté n’a pas eu lieu le 14 janvier mais le 17 décembre 2010», rappelle aujourd’hui un tag peint sur les murs de Sidi Bouzid, ville de 430.000 habitants au cœur d’une région parmi les plus déshéritées de Tunisie. Ce n’est donc pas un hasard si la révolution est partie de là.

En décembre 2010, «il fallait orchestrer (…) une campagne pour fédérer la population autour d’une victime, devenue très vite une icône», écrit notre consœur Olfa Belhassine dans un beau papier au titre évocateur pour le site justiceinfo.net : La Révolution s’est arrêtée à Sidi Bouzid, qui rappelle le titre du film de Francesco Rosi, Le Christ s’est arrêté à Eboli. En clair, la révolution a oublié Sidi Bouzid et ses milliers de jeunes chômeurs, sa région et la misère qui y règne.

Le jeune marchand de légumes est devenu une icône. L’artère principale porte désormais son nom. «La poste exhibe au-dessus de sa façade un poster géant de Bouazizi souriant, les bras ouverts comme pour accueillir une gloire posthume». Mais les problèmes de 2010 sont toujours là en 2015. Olfa Belhassine a discuté avec des habitants de Sidi Bouzid qui se sentent dépossédés et «démunis».

«En général, les personnes qui dirigent une révolution prennent le pouvoir. Ce n’est pas le cas chez nous. (…) Les gros bonnets de la politique ne nous ont rien laissé, rien donné. Tout est comme avant, sinon pire. (…) Nous n’avons plus confiance», explique un jeune de 36 ans, Hassen.

Corruption
Selon les chiffres, 25% de la population locale est au chômage. Alors que la région est potentiellement riche grâce à son agriculture, «les fruits, les légumes et l’huile de cet excellent terroir (…) partent chaque jour se transformer ailleurs, dans les grandes villes côtières». Une région qui, dans le même temps, est «depuis plus de deux ans sous haute surveillance» et s’est couverte de barrages : elle «se trouve à proximité des zones montagneuses où se retranchent les groupes jihadistes».

Sidi Bouzid est également particulièrement touchée par la corruption, «héritage de l’ancien régime, (…) plus perceptible ici que dans la capitale». «Nous attendions la révolution depuis bien longtemps pour nous débarrasser des voleurs. Mais voilà que le nombre des mafieux se démultiplie à n’en plus finir aujourd’hui. Voyez comment le moindre service est payé au moins trois fois son tarif officiel à l’hôpital par exemple et comment le fléau de la corruption progresse partout», accuse Fayçal 41 ans.

Décidément, la révolution semble bel et bien s’être arrêtée à Sidi Bouzid… Alors même que des organismes internationaux comme le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) ou l’USAID (Agence des Etats-Unis pour le développement international), «persistent à initier des projets de développement». Question : que sont devenus ces projets?

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Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé