Tunisie: un berger de 16 ans décapité par des djihadistes

Des militaires patrouillent dans la région du mont Chaambi (ouest de la Tunisie), à la frontière avec l'Algérie, où l'on trouve de nombreux djihadistes. Photo prise le 11 juin 2013.

Un groupe djihadiste a revendiqué au nom du groupe Etat islamique (EI) la décapitation d’un berger tunisien de 16 ans, l’accusant d’avoir informé l’armée sur ses mouvements dans la région de Sidi Bouzid (centre-ouest de la Tunisie).

La revendication a été faite dans une vidéo diffusée le 22 novembre 2015 sur internet, dont l’authenticité n’a pas été confirmée. La vidéo commence par un message écrit sur «la vérité de l'apostat Mabrouk le berger» qui, selon le texte, donnait à l'armée tunisienne des informations sur «les soldats de l'Etat islamique». «C'est le destin de tous ceux qui sont dans les rangs des tyrans de la Tunisie contre Jund al-Khilafa» (les soldats du califat, en arabe), est-il également écrit.

La vidéo montre ensuite le berger, l'air effrayé, répondant aux questions d'un interlocuteur hors champ et dont la voix paraît modifiée. Les mains attachées derrière le dos, le jeune homme, qui porte un pull gris, affirme avoir été payé par un militaire pour surveiller les activités des jihadistes de la zone. «Tu as balancé des informations sur les moujahidines pour de l'argent!», assène le djihadiste au berger. Lequel rétorque avec effroi: «Nous n'avons pas d'argent.»

Selon les autorités tunisiennes, Mabrouk Soltani faisait paître ses moutons. Des proches et le ministère de l’Intérieur ont ensuite ordonné à son cousin Chokri, 14 ans, témoin de la scène, de ramener la tête enveloppée dans du plastique à la famille, qui réside à Daouar Slatniya dans la région de Sidi Bouzid.

«Jeunesse au chômage»
Face à l'émoi, le Premier ministre tunisien Habib Essid a reconnu que les forces de l'ordre avaient tardé à intervenir. «Nous avons pris les mesures nécessaires, un peu tard il est vrai, (...)», a-t-il dit à la chaîne privée El Hiwar Ettounsi. Mabrouk a été tué seulement pour avoir refusé de livrer ses bêtes aux djihadistes, a-t-il assuré. Tout en précisant que le jeune berger n'avait «rien à voir avec l'armée ni avec la police».

A Daouar Slatniya, la mort de Mabrouk a ravivé le sentiment d'exclusion d'une région, celle du gouvernorat de Sidi Bouzid. C’est là que le vendeur ambulant Mohamed Bouazizi s'était immolé par le feu le 17 décembre 2010, point de départ de la révolution tunisienne, puis des «printemps arabes».

Cinq ans plus tard, à la pauvreté et au chômage toujours croissants s'est ajoutée la menace djihadiste. «Ici, nous vivons en dehors de l'Histoire. Coupés du monde», a expliqué Imed, 32 ans, un cousin de Mabrouk.

Dans un témoignage poignant, Nassim, 20 ans, un autre cousin, a raconté sur Nessma la misère quotidienne et les conditions de vie très éprouvantes des habitants. «Nous mangeons les plantes, ramenons l'eau de la montagne et aujourd'hui il y a les terroristes. Où vais-je boire? Je vais mourir soit de soif, soit de faim, soit de terrorisme», a-t-il expliqué. Tout en ajoutant : «Nous sommes visés à tout moment». Il a également mis en garde contre la facilité pour les jihadistes d'«acheter une jeunesse marginalisée, analphabète (...). Une jeunesse au chômage».

Le témoigne d'un cousin de Mabrouk (mis en ligne le 22 novembre 2015)

Ce meurtre d'un civil est le second en un mois. En octobre, un autre berger avait été enlevé puis tué par des djihadistes dans la région de Kasserine (centre-ouest). Revendiquant la mort de deux soldats, la Phalange Okba Ibn Nafaa, principal groupe extrémiste armé tunisien lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), avait menacé toute «personne aidant ou renseignant (les autorités) sur les moujahidines». Le groupe a cependant démenti sur son compte Twitter être l'auteur du meurtre du premier berger.

Le ministre de l'Intérieur, Najem Gharsalli, s'est rendu sur place le 14 novembre. Les renforts qui l'accompagnaient, ont essuyé la colère des habitants, furieux de l’absence des autorités. Certains ont réclamé des armes au ministre pour se défendre par eux-mêmes face aux djihadistes.

Depuis la révolution de janvier 2011, la Tunisie est confrontée à un essor de la mouvance djihadiste, en particulier dans les régions frontalières de l’Algérie et de la Libye. Des dizaines de policiers et de militaires ont été tués. 59 touristes étrangers sont morts en 2015 dans deux attentats revendiqués par le groupe État islamique (EI), l’un le 18 mars au musée du Bardo à Tunis, le second à Sousse (sud de Tunis) le 26 juin.

Mi-novembre 2015, sept femmes accusées de faire la propagande de l'EI ont été arrêtées. «Elles formaient une grande partie de l'aile médiatique de la branche de ce qui est appelé l'Etat islamique-Daech en Tunisie, Jund al-Khilafa», avait précisé le ministère de l'Intérieur dans un communiqué, utilisant l'acronyme arabe de l'EI.

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé