Depuis les récentes attaques djihadistes en Tunisie, la police empêche de nombreux jeunes de quitter le pays. Une mesure interdite par la loi tunisienne. Pas facile de concilier mesures de sécurité antiterroristes et libertés individuelles…
L’ONG des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) a rassemblé une série de témoignages montrant que de nombreux jeunes hommes et femmes tunisiens de moins de 35 ans ne peuvent quitter le territoire national sans une autorisation paternelle. Une mesure prise par les autorités pour empêcher ces personnes de rejoindre des groupes djihadistes à l’étranger. Destinations particulièrement visées : les pays arabes et la Turquie. Le ministère de l'Intérieur a confirmé l'information auprès de HRW.
Des éléments qui ont fait le tour des réseaux sociaux.
En #Tunisie, à 35 ans tu peux te présenter aux élections législatives (#TnConst Art 53) mais tu peux pas voyager sans autorisation parentale — Nizar Kerkeni (@nizarus) 12 Juillet 2015
Selon des experts de l’ONU, plus de 5000 Tunisiens combattraient déjà avec des groupes radicaux : 4000 en Syrie (où ils constitueraient le plus important contingent étranger), 1000 à 1500 en Libye, 200 en Irak, 60 au Mali, 50 au Yémen… Dans le même temps, 15.000 jeunes auraient été empêchés de rejoindre les djihadistes dans des zones de conflit, a affirmé le Premier ministre tunisien, Habib Essid.
«La majorité des Tunisiens qui rejoignent des groupes extrémistes à l'étranger semblent être jeunes, souvent âgés de 18 à 35 ans», selon les spécialistes onusiens. «Certains de ces jeunes viennent de milieux socio-économiques défavorables, mais aussi de la classe moyenne et des classes les plus aisées de la société.»
Logiquement, les experts de l'ONU ont appelé le gouvernement «à adopter un plan stratégique national (...) pour répondre à la diversité des profils et des méthodes de recrutement et avoir des effets immédiats, à moyen et long termes, tout en veillant à l'équilibre entre les mesures punitives et sociales et en s'assurant de l'adoption des standards internationaux en matière de droits de l'Homme.»
De ce point de vue, la loi tunisienne est très claire. Dans son article 24, la Constitution stipule que «tout citoyen a le droit de choisir son lieu de résidence, de circuler librement à l’intérieur du pays ainsi que le droit de le quitter.» Et l’article 49 explique : «La loi fixe les modalités relatives aux droits et aux libertés qui sont garantis dans cette Constitution ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence. Ces moyens de contrôle ne sont mis en place que par la nécessité que demande un Etat civil démocratique et pour protéger les droits des tiers ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale (…).»
Normal, forcément normal…
Mais voilà. Il y a eu les attentats du 18 mars au Bardo (22 morts, dont 21 touristes étrangers) et du 22 juin à Sousse (38 touristes étrangers tués). La Tunisie, entourée de voisins instables (Libye et Algérie), tente donc de réagir. Critiquées, les autorités ont institué l’état d’urgence.
Elles ont aussi décidé de s’attaquer aux problèmes des jeunes. D’autant que l’auteur de l’attentat de Sousse, Seiffedine Rezgui, abattu par la police était un étudiant de 23 ans, qui avait travaillé dans le secteur touristique comme «animateur», selon Habib Essid. Il s’agissait donc d’un profil «normal», aux dires des autorités.
Un profil «normal» dont la transformation a suscité la stupéfaction dans le pays. Selon la mère du tueur, interviewé par le Sunday Times (accès payant), son fils «aimait la musique, le breakdance et le football. Ils ont dû le droguer et lui laver le cerveau pour qu’il fasse cette chose diabolique.» Aux dires du Premier ministre, son passeport ne portait pas de traces de voyages à l’étranger. «Mais il n'est pas exclu, selon une source de sécurité, que le jeune homme se soit rendu en Libye de façon clandestine».
On comprend dès lors mieux la philosophie qui a inspiré les contrôles aux frontières. Mais les différents témoignages citées par HRW et Jeune Afrique tendent à montrer que tous les jeunes sont plus ou moins visés par ces contrôles dans des aéroports. Sans que la mesure soit vraiment officielle et l’on sache exactement ce qu’il en est. «Empêcher tous les voyages de Tunisiens uniquement en raison de leur âge est une approche dont la vaste portée est injuste et arbitraire», estime l’organisation des droits de l’Homme. Un arbitraire et un flou dont le pouvoir tunisien semble avoir bien du mal à sortir.
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