Tunisie: la préparation du JT à l'heure du ramadan

Dans la newsroom de la chaîne nationale 1 à l'heure de la conférence de rédaction. Celle-ci est animée par Hammadi Ghidaoui, le rédacteur en chef des infos (à droite) (photo: FTV)

Pas facile de réaliser un journal télévisé pendant la période du ramadan. Surtout pour les personnels, nombreux, qui jeûnent… Reportage à la chaîne nationale 1 de la télévision publique tunisienne.

Il fait très chaud en ce 24 juin 2015 au matin. Les Tunisois vous disent que le thermomètre frise les 38-40 degrés. Une chaleur difficile à supporter pour ceux qui font le ramadan. Et ne peuvent ni manger ni boire entre 3 heures du matin et 19h45, heure de la rupture du jeûne. La cafétéria de la télévision reste fermée toute la journée. Seule possibilité de se ravitailler: un distributeur automatique qui offre quelques friandises et boissons fraîches. A l’heure du déjeuner, le visiteur étranger qui a vraiment faim doit se rendre à l’hôtel Sheraton, à dix minutes de là, pour y trouver des sandwiches au thon, seule possibilité de manger rapidement, Et de manière à peu près consistante...

Dans les couloirs de la première chaîne, peu fréquentés, c’est le calme qui règne. Trois éditions d’information se succèdent tout au long de la journée : 13 h, 20 h, minuit, avec un flash à 17h. Des éditions préparées par une équipe de 70 journalistes, dont 48 femmes. Sans compter 33 cadreurs-cameramen. Deux présentateurs assurent la tenue de la «grande messe» du 20h : une femme du lundi au jeudi, un homme du vendredi au dimanche. Pendant le ramadan, le JT est plus court : 25 à 27 minutes, contre 35 à 40 minutes en temps ordinaire.

Dans le bureau de Hammadi Ghidaoui (de dos (à gauche), le présentateur du 13h avec le costume qu'il met pour son journal du 24 juin 2015

Dans le bureau de Hammadi Ghidaoui (de dos (à gauche), le présentateur du 13h avec le costume qu'il met pour son journal du 24 juin 2015

14h30. Conférence du 20h dans le newsroom ultra-moderne, point névralgique de la rédaction, au 3e étage. «Notre arme pour résister aux pressions, c’est la conférence de rédaction. C’est là où se prennent les décisions», explique Hammadi Ghidaoui, le rédacteur en chef des infos. Ce que confirment des membres de son équipe en dehors de sa présence.

Une journée à la plage
Hammadi Ghidaoui énumère les thèmes du journal du jour. En ouverture sont prévus deux sujets sur la journée de l’Armée nationale, dont c’est le 59e anniversaire de la fondation. «Nous devons faire preuve de patriotisme vis-à-vis de notre armée, engagée dans la lutte contre le terrorisme», commente-t-il.

Suivront deux autres reportages sur le ramadan (notamment un sujet sur la manière dont les personnes âgées le vivent). Troisième thématique : le soutien aux victimes de la torture, à l’occasion d’une conférence de presse organisée sur ce thème à Tunis. En clôture : les sujets étrangers. En l’occurrence, la «lutte contre ‘‘Daech’’», dixit le conducteur, et un autre sur l’espionnage de la France par la NSA.

A la fin de la conférence, Hammadi Ghidaoui annonce aussi certains sujets des jours suivants. Notamment un reportage sur «la journée à la plage pendant le ramadan». Le tournage doit se faire dans l’après-midi même sur des plages proches de Tunis. Il y a plus désagréable comme tournage, surtout par cette chaleur… «Il s’agit d’une thématique à la fois légère et sérieuse», commente Aymen, le rédacteur.

15h. L’équipe, composée de Aymen, d’un cadreur et d’un chauffeur, quitte le siège de la télévision pour la plage de La Goulette, le port de Tunis.

Dans le véhicule, tous discutent volontiers avec le confrère français. Tous affirment qu’il n’y a plus de censure. «Nous travaillons avec une ligne éditoriale claire. L’important, c’est d’être rapide pour diffuser l’info», expliquent-ils. Ils déplorent le manque de matériel et les problèmes techniques, et un autre «grand problème : le manque d’argent». Ils se plaignent aussi des salaires : entre 1000 et 1500 dinars (entre 460 et 690 euros).

15h30. Arrivée sur la plage de la Goulette sous une chaleur de plomb, à peine tempérée par la brise marine. Des jeunes se précipitent vers la caméra. Tous veulent être filmés. A plusieurs reprises, des personnes âgées viennent voir l’équipe pour se plaindre de l’état des lieux, effectivement très sales. Ils aimeraient que celle-ci en touche deux mots au JT…

«Pourquoi êtes-vous ici ?», demande Aymen à ceux qu’il interviewe. «Pendant le ramadan, à la plage, c’est mieux. Car il fait vraiment trop chaud. On passe le temps en attendant le coucher du soleil», et donc la rupture du jeûne (l’iftar en arabe), réponde à peu près invariablement chaque interviewé.

L'équipe de la chaîne nationale 1 en tournage sur la plage de La Goulette le 24 juin 2015

L'équipe de la chaîne nationale 1 en tournage sur la plage de La Goulette le 24 juin 2015

16h30. L’équipe part pour Carthage, banlieue huppée de la capitale tunisienne. La plage Hamilcar est nettement plus propre… Aymen pose approximativement les mêmes questions. Et obtient à peu près le même type de réponse. Un homme d’âge mûr explique que le bord de mer le «change du stress de (son) quartier»

18h. Retour à la télévision. Le rédacteur effectue lui-même le montage et le mixage à partir de son ordinateur. Hammadi Ghidaoui le visionne, émet quelques critiques et valide. Le sujet sera peaufiné un peu plus tard par un monteur.

19h45. C’est l’heure de la rupture du jeûne. Des paniers repas sont amenés pour les quelques journalistes encore présents dans la newsroom. Fort courtoisement, le rédacteur en chef invite le confrère étranger à se joindre à eux. On mange devant la télévision.

19h55. L’élégante présentatrice se précipite dans l’ascenseur pour rejoindre le studio du JT, installé au sous-sol.

20h27. Fin du journal. La newsroom se vide. En attendant demain…

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Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé