La menace djihadiste en Tunisie: «bombes à retardement»

Une manifestante donne une fleur à un membre des forces de sécurité le 21 février 2015 à Tunis, lors d'une manifestation organisée «contre la terreur». (AFP - Anadolu Agency - Yassine Gaidi)

Des centaines de personnes ont manifesté le 21 févier 2015 à Tunis «contre le terrorisme». Et ce après une attaque qui a coûté la vie à quatre gendarmes, près de Kasserine (centre-est), au pied du mont Chaambi, principal maquis djihadiste de Tunisie, dans la nuit du 17 au 18 février 2015.

L'opération, menée par «20 terroristes», selon le ministère de l'Intérieur, a été attribuée par les autorités à la Phalange Okba Ibn Nafaâ, des combattants jihadistes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), mais qui aurait prêté allégeance à Daech.

Le parti Nidaa Tounès (gauche), majoritaire, avait appelé à cette manifestation. La formation islamiste Ennahda, deuxième force au Parlement, avait demandé à ses partisans de se joindre à la marche. Mais alors qu'il appelait à «l'unité nationale», un responsable du parti, Abdelkrim Harouni, a été pris à partie par des manifestants : ceux-ci ont accusé Ennahda d'avoir fait preuve de «laxisme» avec la mouvance salafiste quand il était au pouvoir (fin 2011-début 2014). Un prédicateur islamiste radical, Adel Almi, a par ailleurs été contraint de quitter le cortège sous escorte policière. Des manifestants l'ayant traité de «terroriste» et lui criant de «dégager». Ce dernier mot a une connotation particulière en Tunisie : lors de la révolution de 2001, les habitants criaient «Dégage !» au dictateur Ben Ali…


Abdel Almi «dégagé» de la marche contre le terrorisme : vidéo mise en ligne le 21-2-2015

Depuis la révolution de 2011, le pays est confronté à un essor des violences djihadistes. Les forces de sécurité tentent de neutraliser les éléments extrémistes retranchés sur le mont Chaambi sans y parvenir, malgré des bombardements et plusieurs opérations militaires terrestres. Des dizaines de militaires et policiers ont été tués ou blessés dans des embuscades et par des mines disséminées dans la zone de Chaambi. Mais aussi plus au nord, le long de la frontière avec l'Algérie.

Réfugiés et armes libyens
Dans le même temps, Tunis a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude face à la situation dans le Libye voisine. Des centaines de milliers de réfugiés libyens ont trouvé refuge en Tunisie parmi lesquelles peuvent, potentiellement, se cacher des djihadistes.

Les autorités s’inquiètent tout particulièrement du trafic d’armes en provenance de leur voisin oriental. «La Libye est une bombe à retardement pour nous et pour l'Algérie. Nous parlons là de véhicules 4x4 disponibles comme des jouets chez les extrémistes en Libye, de camps d'entraînement, de missiles SAM 7 disparus, de missiles guidés, de roquettes RPG-7 et d'avions. Il y a 12 avions disparus en Libye qui peuvent être utilisés dans des opérations spectaculaires en Tunisie et en Algérie», affirmait en novembre 2014 le ministre tunisien de l’Intérieur, cité par le Huffington Post Maghreb.

Jugement dans l’affaire de l’ambassade des Etats-Unis
Le 18 février 2015, la cour d’appel de Tunis a annoncé que 20 personnes, accusées d'avoir participé à l'attaque contre l'ambassade américaine (quatre morts) en septembre 2012, ont été condamnées à des peines allant de deux à quatre ans de prison. Les observateurs n’ont pas manqué de faire remarquer que le verdict est bien plus lourd que celui prononcé en mai 2013 en première instance… Les mêmes prévenus avaient alors été condamnés à deux ans de sursis pour leur participation au saccage de l'ambassade et de l'école américaines en réaction à un film islamophobe diffusé sur internet.

Après l'attaque contre la représentation diplomatique, le gouvernement tunisien, dirigé à l'époque par le mouvement islamiste Ennahda, avait été accusé par ses détracteurs d'avoir fait preuve de laxisme, voire de complicité, avec les manifestants.

Le 14 septembre 2012, des centaines de manifestants, dont certains brandissaient des bannières de mouvements salafistes, des pierres et des objets tranchants ou coupants, s'étaient rendus à pied à l'ambassade, où seul un dispositif de sécurité minimal était en place. Celui-ci avait été rapidement débordé. Pour Tunis, l'organisateur de la manifestation était le mouvement salafiste jihadiste Ansar Ashariaa, aujourd'hui classé «terroriste» par le gouvernement.


L’attaque de l’ambassade américaine, Al Jazira. Vidéo mise en ligne le 14-9-2012.

Dans le même temps, la Tunisie se pose des questions sur la «radicalisation» de certains jeunes, comme l’expliquait le 23 février un article de La Presse. Entre 1900 et 3000 Tunisiens seraient ainsi partis se battre en Syrie. 500 seraient revenus dans leur pays. Et 10.000 «ont été empêchés de quitter le territoire». Ces personnes «sont des bombes à retardement pour le pays», analyse La PresseCela fait beaucoup de «bombes à retardement».

Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé