Tunisie : l’aggravation du phénomène djihadiste

La mère d'un policier, tué au Kef (nord-ouest de la Tunisie), est entourée par ses proches dans la maison familiale le 24 octobre 2013. (AFP - Fethi Belaïd)

En dix jours, les 16 et 26 juillet 2014, 17 militaires tunisiens ont été tués lors de violences en lien avec des groupes islamistes. La première affaire, un assaut contre deux postes de l’armée sur le mont Chaambi (centre-ouest), non loin de la frontière algérienne, est la pire attaque subie par l’armée tunisienne depuis sa fondation en 1956. Visiblement, les autorités ne parviennent pas à endiguer un phénomène djihadiste qui se manifeste depuis 2011.

Le mois de juillet a été particulièrement violent en Tunisie. Outre les deux évènements cités ci-dessus, quatre soldats avaient été tués le 2 juillet dans l’explosion d’une mine sur le Jebel Ouergha, dans la région du Kef (nord-ouest). En tout, une cinquantaine de militaires, policiers et gendarmes sont morts depuis 2011 dans des attaques impliquant des groupes armés.

A maintes reprises, les autorités tunisiennes se sont engagées à «vaincre le terrorisme». Mais dans la région montagneuse du mont Chaambi, l’armée tente en vain, depuis un an et demi, de neutraliser un groupe accusé de liens avec al-Qaïda. «La bataille contre le terrorisme en est à ses débuts et il faut que nous nous y préparions par davantage d’union nationale. Le chemin sera peut-être long», a déclaré le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar. «Peut-être» ? « Sûrement», serait-on plutôt tenté de dire.

Car le phénomène paraît s’aggraver. On constate «une montée en puissance du terrorisme islamiste en Tunisie», souligne, dans un article du site leaders.com.tn, l’analyste Mehdi Taje.

La première revendication d’Aqmi
En juin, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a, pour la première fois, revendiqué des actions en Tunisie. A commencer par une attaque menée dans la nuit du 27 au 28 mai contre le domicile du ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, à Kasserine, localité située dans le centre du pays, toujours non loin de la frontière algérienne.

«Un groupe de lions de Kairouan (ville sainte de l'Islam en Tunisie, NDLR) est parti pour couper la tête du criminel (le ministre) Lotfi Ben Jeddou (…), et Dieu leur a permis de tuer un nombre de ses gardes personnels (quatre ont effectivement été tués, NDLR) et d'en blesser d'autres et de leur prendre leurs armes», indique un communiqué publié sur un forum utilisé par Aqmi pour diffuser ses revendications.

L'organisation islamiste admet aussi pour la première fois que les combattants pourchassés depuis un an et demi au mont Chaambi sont issus de ses rangs. Une confirmation de ce que les autorités tunisiennes affirment depuis des mois. «Entrer en guerre ouverte contre l'islam et ses partisans pour plaire aux Etats-Unis, à la France et à l'Algérie, se paye cher», ajoute la mouvance islamiste.

Marginalisation des régions de l’intérieur et pauvreté
Reste à tenter d’analyser le phénomène djihadiste.

«Le terrorisme est une conséquence de l’abandon de notre région par l’Etat», estime Moncef, professeur d’histoire-géographie au lycée de Fernana (nord-ouest de la Tunisie) citée par Le Point. Pour cet homme, «la marginalisation» de certaines régions, notamment celles de l’intérieur, «alimente (la) machine de guerre» des groupes salafistes. Alors que les côtes ont toujours été favorisées par le pouvoir.

Un militaire tunisien monte la garde le 6 juin 2013 dans la région du mont Chaambi (centre-ouest).  (AFP - Abderrazek Khlifi)

Un militaire tunisien monte la garde le 6 juin 2013 dans la région du mont Chaambi (centre-ouest).(AFP - Abderrazek Khlifi)

«Fernana en deux chiffres. 40% de chômeurs, 70% de la population non raccordée à l’eau potable», alors que «la région fournit pourtant l’eau courante de la Tunisie», poursuit Le Point. Entre les régions du centre et la côte, «deux mondes, deux castes. Les puissants et les déshérités. Night-club et palace pour les uns, résignation et misère pour les autres. Ce gap entre l'élite, financièrement parlant, et le Tunisien s'accroît. Et fait le lit du terrorisme. ‘’Face au chômage, à l'absence de services publics, de justice, les 15-20 ans succombent aux sirènes salafistes’’, dénonce le prof d'histoire-géographie. Les raisins de la colère sont moissonnés non par la nouvelle démocratie», mais par l’idéologie salafiste.

Dans le même temps, le changement de régime en 2011 n’a pas arrangé les choses. «Tout processus révolutionnaire bouleverse profondément une société, la nature et les modalités d’exercice du pouvoir engendrant une montée en puissance des rivalités et du désordre», observe de son côté Mehdi Taje.

Une situation qui a favorisé «le net affaiblissement de l’Etat» et celui «de l’appareil sécuritaire tunisien»; «la dégradation de la situation économique et sociale», «la pauvreté et la croissance du chômage» qui touche «principalement les jeunes»; «la corruption et la montée en puissance des trafics illégaux et de l’économie informelle» qui offre «un levier de financement aux groupes terroristes». «Plus globalement, nous assistons à une infiltration progressive du crime organisé transnational», ajoute Mehdi Taje.

Autre facteur : «La montée de l’extrémisme religieux et du salafisme» qui prend «le contrôle de centaines de mosquées, amplifiant les capacités d’endoctrinement et de recrutement». Ce n’est pas un hasard si le gouvernement tunisien a annoncé, après l’attaque du 16 juillet, «la fermeture immédiate» des mosquées tombées aux mains des radicaux et qui se trouvent hors du contrôle du ministère des Affaires religieuses. Selon une source au gouvernement citée par l’AFP, 13 lieux de culte musulmans et une radio religieuse, Nour, avaient été fermés au 23 juillet.

Pour Mehdi Taje, il faut également tenir compte des facteurs extérieurs. A commencer par «les profonds bouleversements géopolitiques» affectant le voisinage de la Tunisie : situation en Libye, en Algérie et dans le Sahel.

Il ne faut pas exclure la responsabilité des pays occidentaux. Lesquels avec leur stratégie «de harcèlement et de stigmatisation des musulmans (alimentent) le choc Occident-Islam et favorise l’endoctrinement et le recrutement des exécutants». L’expert reproche aussi à l’Occident d’apporter «un soutien discret aux islamistes dits modérés dans l’objectif de neutraliser les plus extrémistes». Une analyse qui demande à être étayée…

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Publié par Laurent Ribabeau Dumas / Catégories : Non classé