Pour la télévision publique tunisienne, le passage de la dictature à un régime démocratique n’a pas été une période facile à vivre. Le témoignage d’Yves Bruneau, ancien directeur adjoint de l’information à France 3, qui a notamment eu l’occasion de collaborer avec cette entreprise audiovisuelle juste après le renversement de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011.
«Pendant trois ou quatre mois après la révolution, la télévision a connu une ambiance épouvantable. C’était l’heure des règlements de compte. Tel rédacteur en chef trouvait par exemple le matin dans sa boîte électronique des extraits d’interviews qu’il avait faites de Ben Ali», raconte Yves Bruneau. Avant la chute de la dictature, «la télé était le refuge de l’élite. Ses membres fréquentaient le président. D’où leur manque de crédibilité après sa chute», ajoute-t-il. Certains ont été «placardisés», de nouveaux dirigeants ont été nommés.
Dans ce contexte, avec Kadour Hamlaoui, de la coordination des reportages de France 3, le journaliste français a notamment aidé à mettre en place une structure chargée de couvrir les élections «Les Tunisiens n’avaient aucune structure de direct. Nous avons alors été aidés par de nombreuses télévisions européennes, ainsi que des chaînes algérienne et marocaine, qui nous ont notamment prêté des cars régies.»
Dans le même temps, il fallait aussi former les personnels habitués à travailler sous une dictature. «Leur situation faisait un peu penser à celle qu’on a connue à l’ORTF avant mai 68. Quand il s’agissait de traiter une information, au lieu d’envoyer immédiatement une équipe sur place pour voir ce qui se passait, on commençait d’abord par systématiquement contacter les personnalités concernées», raconte Yves Bruneau. Résultat: les journalistes sortaient peu de Tunis, ignorant ainsi le reste du pays. «Dans ce contexte, pour changer les façons de travailler, il y a toute une démarche intellectuelle à acquérir», observe l’ancien responsable de France 3.
Pour les équipes journalistiques, ces élections historiques (qui ont eu lieu le 23 octobre 2011) ont été particulièrement motivantes. «On sentait une vraie dynamique. Pendant les trois semaines qui ont précédé le scrutin, nous avons envoyé des équipes dans tout le pays pour traiter les sujets les plus divers : politiques, économiques…» Lors du scrutin, les journalistes ont tenu l’antenne pendant 48 heures non stop, avec un seul et même animateur, pour rendre compte des résultats.
Par la suite, envoyé par CFI, filiale de France Télévisions, Yves Bruneau a travaillé pour le compte du Centre africain de perfectionnement des journalistes et communicateurs (CAPJC) basé à Tunis. Il s’agissait notamment d’aider les rédacteurs en chef de la radio et de la télévision à mieux exercer leur métier. Ce qui l’a notamment frappé ? «Le fait que les femmes soient souvent plus volontaires et plus motivées que leurs confrères masculins», conclut-il. Comme souvent en Tunisie !